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Aperçu un homme alors que je venais de jeter mon tablier de fort méchante humeur. Mes rêves avaient besoin de reprendre le territoire. C'était un homme en train de déambuler sous un abribus. Un homme hors d'âge comme on en voit sous les abribus. Me suis approché de lui en quête d'un reliquat de fraternité humaine. Et alors d'un air absent l'homme s'est mis à réciter ça: "cet homme contient de l'angora, un fil long et soyeux apportant douceur, chaleur et légèreté à celle ou celui qui voudra bien l'adopter. Afin d'en conserver toutes les qualités, nous vous conseillons un lavage à 30. Programme délicat..."
Passé tout près de la rue Tourlaque, me dit-il. Il faisait beau. Quelques vers de Kiki Dimoula m'avaient tenu compagnie, oh juste le temps de remonter la rue Ramey et pfuit, voilà, envolés. Ces jours-ci, la mémoire est une fille de nulle part. Passé tout près de la rue Tourlaque. Il fut un temps où, là-bas, j'allais voir cette dame. Des fois je lui offrais des fleurs. Et toujours je baissais les yeux au moment de lui tendre le bouquet. Des fois, c'était des fleurs blanches. Des fois, c'était tout mélangé. Des fois, trois minutes avant minuit, cette dame s'appelait Florence, elle rêvait de Toscane et de son rôle méconnu sur le moral des troupes. Un jour elle a refermé la porte, très vite, derrière moi et puis...Cette dame m'impressionnait. J'étais jeune. Très jeune. Elle est morte, depuis. Passé tout près de la rue Tourlaque. Cette dame, tu sais, j'aurais bien aimé...lui dire que...Parfois, dans la vie, on fait du chemin et on aimerait juste que ça se sache...
Paysage urbain, me dit-il. La rue Caulaincourt. Un 12 novembre. Vers 15h. Enseignement catholique. Tous les parents échouent d'une manière ou d'une autre. Des poèmes d'Ivan Blatny. Le Chinon mais un peu plus tard. Une bière avec Bruno et son poumon universel. Les visages défilent. Seul le changement est permanent, me souffle Rodolphe. Le Chinon, mais un peu plus tôt. Les yeux de Samuel cherchent désespérément un point d'appui, quelques lignes de fuite. Dans vingt ans et trois titres de champion d'Europe, la rue des Abbesses ne nous reconnaîtra plus. Même dans une fosse sceptique, il y a des niveaux. Le temps nous remplacera. " La mort commence par un colon obstrué", beugle un type hors d'âge, et nous sommes à mi pente de l'avenue Junot. Paysage urbain...
C'est toujours pareil. L'histoire démarre péniblement, comme si le monde portait un sac de briques sur son petit dos plus tellement préoccupé d'emporter l'adhésion. On a toujours du mal à s'habituer aux contours de la nuit précédente sans ta chanson où les rêves vous redonnaient enfin la parole. Ça peut avoir l'air d'une blague mais la dernière fois que je t'ai dit " je t'aime", alors, c'était quand? C'est toujours pareil. Et puis le train reprend la trame du grand récit, caméra à l'épaule. Après quelques réticences, il redevient cet observateur avisé des sciences naturelles. Quelque part entre nos deux oreilles, une chanteur chante et sous le regard, bientôt le film ne tarde pas à s'enrichir d'une poussière d’événements. Moteur! Moteur demandé... Piscine municipale. Centre sportif des Rasdiguelles. Ville de Suresnes. C'est quelque part au milieu d'une après-midi prise de bâillement, me dit-il. C'est toujours pareil. Au-dessus, un ciel d'azur s'étale de tout son long. Le genre de ciel pas malheureux d'avoir réussi à mettre plusieurs continents d'écart entre lui et son ombre. A main droite, Paris, plutôt fière d'exhiber ses buttes têtues, celles-ci toujours si promptes à vous rejouer le son et lumière de leurs révoltes passées. A main gauche, La Défense, passive comme un jour chômé. Et puis voici qu'on s'enterre. Et puis voici comme on plonge. Pont de Neuilly. Sablons. Porte Maillot... C'est toujours pareil. Une voix glaciale d'héroïne de SF anticipe les paliers de décompression. Le métro sans wagon s'enroule autour de nos souvenirs comme un boa hi-tech. Le métro, hi-tech ou pas, nous cause cet éternel vertige. Cette chute sur la tempe à travers le temps. Et puis, Concorde, "attention à la marche en descendant du train..." C'est toujours pareil. Rien de cette fièvre, rien de ce désespoir maladroit ne recourt à l'astuce d'un lac ou d'un bois pour voyeurs romantiques. Et la vie n'est plus tellement sûre, plus tellement digne d'être admirée. Sans rire, la dernière fois que je t'ai dit " je t'aime", alors c'était quand?