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Lubies

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    Dans l'Intercités au départ de Toulouse-Matabiau, les retours vers Paris ressemblent à ces bretelles qui pendent des sacs à dos comme des bras de noyés.
     
    Il y a ma fille. Ma fille écoute des podcasts. Et aussi une voisine, la cinquantaine Monde Diplomatique. Une voisine qui s'enquiert du temps des mercenaires. Quel dommage que ses nus pieds jurent un peu avec sa tenue jean stone washed- chemise en lin blanc. Lana Del Rey opère un léger mouvement tournant de Lovelace pour mieux enlacer mon casque bluetooth. Puis c'est toujours la même escroquerie où une idée de la mort née, élevée et grandie dans la brousse californienne, revient vous rouler une pelle avec des façons de poisson chat. Comme si la mort était une petite cousine de Gatsby qui irait parfois trainer en gare de Cahors.
     
    Gourdon. Prochain arrêt qui sera aussi court qu'un haïku adapté aux petits comme aux plus grands. Gourdon, le nom d'une petite ville où les châtaigniers apportent presque une touche ténébreuse à la bonhomie collinaire du Lot. Celui d'un ancien grand joueur de rugby, oui aussi.
     
    Plus tard, lorsque l'Intercités s'arrête en gare de Souillac, un souvenir d'enfance me serre le cœur. Souvenir encore vibrant de l'une de ces pauses, la Renault 12 bleu ciel achevant de se garer devant cette boucherie - charcuterie, toujours la même, comme notre père nous remontait, ma sœur, mon frère et moi, du Plateau vers Paris. Souillac et cette saucisse sèche qui faisait notre régal.
     
    Le train laisse Brive à son enfilade de rêves pleins de hauteur sous plafond. Brive ressemble au moule mortuaire d'un étrange poisson bossu. Quand les toits de la ville prennent soudain un tour sombre sur les bords, certains imaginent pouvoir démontrer comment elle aurait été pondue à l'endroit où l'on venait tout juste d'interrompre la construction d'un pont.
     
    Peu après Limoges, toujours cette forêt nettement plus touffue, toujours à deux doigts d'étouffer le rail. Depuis mon siège, je la suppose faite de sons. Parcourue par les cris rauques d'une chasse sauvage toutes les nuits recommencée. Toutes les nuits.
     
    D'abord le jour baisse. C'est à dire qu'il baisse vers la gare de La Souterraine. Ensuite nous sommes entre Vierzon et les Aubrais. Ensuite-ensuite le soleil fait sa petite animation pour centre d'accueil et de loisirs, avec un vieux coin de drap rose qu'il se remonte sous le nez tandis qu'un chœur de randonneurs Sardes entonne mid tempo la version chantée d'un grand classique de la poèsie catalane.
     
    Monté en gare des Aubrais, un jeune homme, trentaine sportive en polo vert pomme, est assis à la place qu'occupait la quinqua très Monde diplomatique d'il y a quelques heures. Malédiction propre à la voiture 6, place 87, d'horribles sandales de vigneron lui enserrent les pieds !? C'est pourtant simple. Une paire de chaussures en toile. Merde ! A la rigueur des espadrilles. Et ma main au feu aussi sec dans le premier barbecue que le bon dieu voudra bien mettre sur ma route, oui ma main au feu que ce type tiendrait largement la corde au casting du prochain Louis Garrel. Mais qu'est-ce que je raconte!? La gare d'Austerlitz tarde à montrer le retroussé piquant de son joli nez. Paris vous prévient à l'avance. Gare aux impatients. Pour peu qu'on veuille l'etreindre de trop près, même la chasser à l'approche, elle vous file d'entre les doigts, glisse de vos mains moites comme l'eau sucrée de la pastèque. Paris. Oh allez, ça suffit.
     
    Gare d'Austerlitz. Paris au mois d'août. Pas certain d'entendre les rumeurs sauvages montant de la ménagerie. La circulation est encore trop dense pour un Paris vers 23h35, au mois d'août. Sur les quais près de l'arsenal, quelques joueurs de boules. Des serveurs pas tout à fait désœuvrés. La Bastille. Place des Vosges. Le Cirque d'hiver. Puis cap vers Montmartre. Quand on l'aime comme je l'aime, d'un amour tendre, on ne quitte jamais Paris. On y revient, c'est tout.

  • Parution le 24 août