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  • Avant-poste

    « Vendredi.  Vers 9h. L’air pince rudement. Il fait très froid. Repensé toute la nuit à cette phrase : en voulant effacer ses traces, on les multiplie souvent. »

     

    Quand je suis montée dans ce train, je l’ai fait comme on décide de prendre un marteau pour se taper sur les doigts.  J’avais tiré une enveloppe au hasard et je me demandais si elle allait contenir la bonne aventure. Rien.  Ni personne. Même pas ça à fuir. Seulement envie de faire avec mon ombre de grandes images changeantes sur la terre des chemins.  En montant dans ce train, j’avoue,  je souhaitais me perdre dans l’anonymat d’un idéal simplifié. Me perdre dans les méandres de ces villages peuplés de mobil home, tu sais, lorsqu’on accepte de partager sa vie avec son désespoir et que chaque soir on s’en revient  à la maison  en traînant la savate après lui. Et qu’il y a comme une fatalité érotique dans l’air. Tout ça qui fait qu’on commence à pétrir sa vie comme une pâte molle...

     

    Je te montrerais bien

    cette photo de l'océan

    celle prise

    depuis la digue...

     

    Quand je suis montée dans ce train, j’ignorais que j’allais croiser tous ces gens. Tous ces gens à la fois bizarres et merveilleux.  J’ignorais jusqu’à quel point les voyages vous défont. Vous détricotent. Et, finalement, vous rhabillent avec des fringues un peu plus adéquates, des vêtements  « d’avantage faits pour par là. » Au contact de ces voyageurs qui savaient tous qu’avant de commencer à vivre, il faut déjà avoir appris à mourir, au bout d’un moment, j’ai fini par comprendre pourquoi j’avais eu raison de partir et aussi, et surtout, dans quelle mesure, si j’étais restée là-bas à attendre que mes angoisses se dissipent, à regarder passer ma vie en vidant des caisses de bière,  j’aurais fini éclaboussée à mon tour par le scandale de ma solitude...

     

    ...mais à quoi bon

    puisque  tu ne sais

    toujours pas nager...

     

    Quand je suis montée dans ce train, j’ignorais que c’était un train qui marchait encore à la vapeur. Le genre de trains qui s’arrêtait de temps à autre pour s’alimenter en eau. J’ignorais que j’allais choisir de descendre au cours d’un de ces arrêts. Et que cet arrêt était le dernier avant-poste avant l’inconnu.

     

    (Extrait de Fade to Grey. Collaboration avec l'artiste Catherine Arbassette)

  • La terrasse

    « Je sais que tu as pris plaisir à ton voyage. Du moins je l’espère.  Souvent les choses se passent comme ça quand  sur un coup de tête on décide de partir juste pour l’aventure et les sensations.  Je me demande dans quelles mains  ces pages finiront par tomber. Au fond, peu importe. Je vais continuer à raconter cette histoire. »

    Avons-nous engagé la conversation en terrasse de ce café qui assurait un service continu ? Y était-elle déjà pour quelque chose si je me suis mis en colère après ce type et son gros cigare. Toujours est-il que je me revois encore lui dire: « Enfin. Ne lui faites pas respirer votre fumée. » Il me semble qu’elle aussi sortait de l’hôpital.  Moi je venais de passer mon après-midi aux urgences. C’était à la suite d’une nouvelle crise d’angoisse. Quelle heure pouvait-il être ? 22h ? Plus tard qui sait ?

    Pourtant dans mon souvenir, ce n’est pas vraiment la nuit. Ou alors une nuit qui achèverait de se vider les poches. Ce n’est pas vraiment le jour, non plus. Ou bien c’est le jour quand il s’est lancé comme un perdu dans la mauvaise direction. Non. Dans mon souvenir, voilà, c’est l’aube.  Oui. L’aube. Lorsque la vie s’annonce à la lisière de l’horizon.  Et qu’après avoir connu la mort dans les nuages, l’horizon s’est retrouvé derrière la mer, éparpillé pire qu’une poignée de seigle.

    D’ailleurs n’était-ce pas plutôt sur la lande, la première fois que nous nous sommes parlés? Mais oui. Je la revois qui marche sous le vent. Et sa façon de tourner le dos à la mer. Elle était sortie  de la brume. En lambeaux. Tel un fantôme. Jusqu’ici j’avais vécu une existence morne et ennuyeuse et ce que j’avais pu faire d’intéressant, je ne voulais pas en parler. Et il aura fallu que cette fille se soulève un peu de terre comme une brume, juste avant le silence des landes quand les chasseurs sont dessus. Il aura suffit que je tombe sur cette fille comme on croise la route d’une balle perdue. Oui. Voilà.  C’était sur la lande.

    Quand ça n’allait pas, quand ça cafouillait un peu à la direction,  peut-être qu’elle allait, elle-aussi, marcher sans but sur la lande. Qu’elle y allait à l’heure où l’aurore porte son joli voile de brume. Cette heure où il est encore possible de tourner le dos à la mer.

     

    (extrait de Fade To grey. Collaboration avec la plasticienne Catherine Arbassette.)

  • Les dernières impatiences

    « Dimanche.  Un dimanche où c’est soudain devenu plus facile de venir à bout des opinions. »

    Déclic ? Révélation ? Quoi d’autre ? Je ne connais pas le nom exact que l’on donne à ça, mais j’aime.  J’aime surtout l’effet immédiat– la chose inédite-le sentiment nouveau, tout ça qui se cache juste derrière le nom,  tout ça, ces trois trucs, couplet-contrepoint-refrain, ces trois trucs qui tour à tour se reniflent, s’associent puis finalement se repoussent, ce déclic-cette révélation- cet on ne sait quoi, tapis dans son trou de bête, ou alors en arrêt-les muscles figés nets, comme un chien au pied de la lettre, et quelque fois, aussi,  embusqué à l’abri de la dernière syllabe,  tout ça attendant  que le gros de la troupe à vue d’œil s’amenuise et tant pis les heures que ça prendra, tant pis le temps que ça va mettre. Tant pis. Tant pis.  Le sens, depuis qu’avec le jour qui baisse des mains obscures poussent  leurs drôles de pierres afin de fortifier les derniers bastions de la nuit, le sens, par-dessus tout, ça sait attendre. C’est un animal craintif, le sens. C’est cet animal qui a coutume de sortir de l’ombre une fois dissipées une par une les dernières impatiences...

     

    (Photo Frédérick Jeantet)