La terrasse
« Je sais que tu as pris plaisir à ton voyage. Du moins je l’espère. Souvent les choses se passent comme ça quand sur un coup de tête on décide de partir juste pour l’aventure et les sensations. Je me demande dans quelles mains ces pages finiront par tomber. Au fond, peu importe. Je vais continuer à raconter cette histoire. »
Avons-nous engagé la conversation en terrasse de ce café qui assurait un service continu ? Y était-elle déjà pour quelque chose si je me suis mis en colère après ce type et son gros cigare. Toujours est-il que je me revois encore lui dire: « Enfin. Ne lui faites pas respirer votre fumée. » Il me semble qu’elle aussi sortait de l’hôpital. Moi je venais de passer mon après-midi aux urgences. C’était à la suite d’une nouvelle crise d’angoisse. Quelle heure pouvait-il être ? 22h ? Plus tard qui sait ?
Pourtant dans mon souvenir, ce n’est pas vraiment la nuit. Ou alors une nuit qui achèverait de se vider les poches. Ce n’est pas vraiment le jour, non plus. Ou bien c’est le jour quand il s’est lancé comme un perdu dans la mauvaise direction. Non. Dans mon souvenir, voilà, c’est l’aube. Oui. L’aube. Lorsque la vie s’annonce à la lisière de l’horizon. Et qu’après avoir connu la mort dans les nuages, l’horizon s’est retrouvé derrière la mer, éparpillé pire qu’une poignée de seigle.
D’ailleurs n’était-ce pas plutôt sur la lande, la première fois que nous nous sommes parlés? Mais oui. Je la revois qui marche sous le vent. Et sa façon de tourner le dos à la mer. Elle était sortie de la brume. En lambeaux. Tel un fantôme. Jusqu’ici j’avais vécu une existence morne et ennuyeuse et ce que j’avais pu faire d’intéressant, je ne voulais pas en parler. Et il aura fallu que cette fille se soulève un peu de terre comme une brume, juste avant le silence des landes quand les chasseurs sont dessus. Il aura suffit que je tombe sur cette fille comme on croise la route d’une balle perdue. Oui. Voilà. C’était sur la lande.
Quand ça n’allait pas, quand ça cafouillait un peu à la direction, peut-être qu’elle allait, elle-aussi, marcher sans but sur la lande. Qu’elle y allait à l’heure où l’aurore porte son joli voile de brume. Cette heure où il est encore possible de tourner le dos à la mer.
(extrait de Fade To grey. Collaboration avec la plasticienne Catherine Arbassette.)