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Lubies - Page 9

  • Savon

     

    Si Peter Pan avait eu
    une paire de jolies chaussures
    pour rattraper ses rêves
    peut-être n'aurait-il pas
    perdu tout ce temps
    à se retourner
    sur cette ombre
    sans cesse à recoudre
    Tu me dis souvent
    La vie c'est la même
    chanson muette
    Chaque matin
    elle colle à la fenêtre
    son petit nez de musaraigne
    Ses lèvres s'agitent
    et nous font signe
    Nous sommes toujours
    ces filles à la recherche
    des garçons perdus
    Entre-temps l'Amérique
    a tellement cessé d'exister
    que Robert Redford a fini
    par en mourir
    Nous sommes
    une bande de petits mecs
    qui rêvent de quitter
    le vestiaire de l'enfance
    une guitare à la main
    Mais on a dû s'endormir
    sous la douche
    et on a encore glissé
    sous le même morceau
    de savon

     

  • Ombres

    L'heure où l'ombre se détache des murs 

    Le matin de la peau moite de la nuit 

    Une main invisible de la poignée 

    grasse des poubelles 

    Qu'est-ce qu'on ne met pas

    dans la poubelle jaune ?

    Ces mots essoufflés de fatigue 

    du malien du wolof ?

      Mais à peine arrivés ils repartent 

    Les êtres qui gagnent leur vie 

    quand l'aube est sale à voir

    n'ont pas de temps à perdre

    L'heure où mes lèvres se détachent 

    de mon premier café 

    toujours trop long après une nuit 

    toujours trop courte 

    La nicotine de mes doigts 

    dans l'eau d'une vaisselle vite faite 

    Mes yeux de l'écran où patiente

    la brume de projets sans vigueur 

    Le travail vient-il vraiment 

    à bout de tout 

    quand il est opiniâtre ?

     

  • Caricatures

    La nuit est douce
    Depuis la place des Abbesses
    enfle la rumeur d'une dispute
    Trois jeunes hommes
    vingt ans tout au plus
    toujours les mêmes
    que des trottinettes électriques
    recrachent chaque soir
    depuis la gorge brûlante
    de la ville basse
    Au début il s'agit de chiller
    Ça se passe avachis
    sur un banc
    Où perchés là-dessus
    comme des chats
    soucieux de tenir la position
    de cet avant poste de la solitude
    Trois ombres qui aimeraient
    rouler un peu en dehors 
    de ce jardin de pierres
    où les petites médiocrités
    de l'époque les petits
    coups de pute du marketing
    les ont relégués
    Ils cherchent à retenir
    l'attention de groupes
    plus clairsemés à cette heure
    de touristes
    et dans un poème idéal
    on voudrait que ceux-ci
    aient le regard perdu pour de bon
    après un bug de Google maps
    que leurs interactions
    avec le monde extérieur
    se limitent à des désirs malsains
    de marchands de glace
    Et soudain sur le banc ça bouge
    Ça se lance une volée
    d'adjectifs sauvage
    en pleine figure
    Aucun n'atteint vraiment sa cible
    Leurs chiens jusque là
    assoupis à leurs pieds
    sur leur fin de race
    et qui n'ont pas encore
    appris le combat de rue
    sont encouragés à entrer
    aussitôt en scène
    Alors ils s'aboient dessus
    mais sans que la bave
    ne leur vienne aux lèvres
    Tout ça bien sûr
    n'effraie plus grand monde
    C'est autre chose
    qui se joue mal ici
    Tout est en place
    Les claquettes les chaussettes
    blanches forcément blanches
    Tout est en ordre
    L'adolescence...
    son envie opiniâtre
    de se succéder à elle-même
    Aujourd'hui ses petites maladresses
    trônent sur le profil d'un influenceur
    pas mieux pas pire
    que les affiches ou les couvertures

    de magazines que le temps a froissé
    Qui s'en souvient vraiment ?
    Hier il était une fois
    d'autres habitudes
    d'autres fringues
    d'autres trouvailles de langage
    Et toutes racontent
    cet âge dont les ingratitudes
    traînent leurs humeurs
    en écumant les vastes
    territoires de l'ennui
    La nuit est douce
    Il y a fort fort longtemps
    J'aurais voulu savoir
    à quoi ressemblait
    vraiment son visage
    Mais la nuit n'a jamais eu
    de visage
    Le pays peut dormir tranquille
    Se pencher à la fenêtre
    Humer l'air en captant
    à la sauvette
    les maigres caricatures
    que les villes ont à offrir
    Croire à l'existence
    d'un monde régi
    par des forces cosmiques