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Lubies - Page 11

  • Somnambules

    Dans ma jeunesse la queue de cheval

    était la coiffure de prédilection

    de certains de mes amis

    les uns pressés les autres

    soucieux d'une coiffure stylée

    sans trop se prendre la tête 

    Les filles je n'ai jamais trop su

    J'ai vieilli en oubliant de leur demander

    Maintenant n'en parlons plus

    Il est trop tard

     

    Nous sommes en 2025

    et pour cet homme que j'observe

    depuis presque deux heures

    derrière une  fenêtre d'école

     il aura également suffi

    de quelques secondes

    et d'un élastique

    La vie aime parfois

    se simplifier l'existence

     

    Bientôt deux ans

    chaque midi entre 11h30 et 13h30

    que je guide un petit groupe

    de touts petits enfants

    vers une salle de sieste

    Quelques astuces de grands-mères 

    finissent par avoir raison

    de leurs turbulences de gosses

    souvent couchés trop tard

    ou ayant raté d'une gare

    le train du sommeil

    la veille

    ou confinés à deux

    sur un coin de matelas 

    temporaine et trop étroit

    J'éprouve une tendresse particulière

    pour les enfants de cette école

    A chaque automne qui passe

    comme un cirque au ralenti

    je deviens pourtant

    de moins en moins sentimental

    de moins en moins sensible

    à tous ces trucs un peu tire-larmes

    L'enfance c'est autre chose 

    Un âge que ma mémoire

    a dû mettre entre parenthèses

    dans une zone de protection perpétuelle

    Un âge rempli d'intentions méchantes

    hérissées de tout un tas de gentillesses

     

    Cette salle de sieste

    a vue sur un immeuble

    dont la façade m'évoque

    un paquebot échoué en cale sèche

    Dans ma jeunesse certains de mes amis

    arboraient encore une queue de cheval

    L'homme que j'observe

    en train de faire les cent pas

    au pied de l'immeuble

    sa tête basse qui mesure

    la longueur du jour

    depuis la salle où quinze petits corps

    dorment paisiblement

    aurait pu faire partie

    du petit groupe que nous formions

    il y a quelques cauchemars

    somnambules de là

     

     

  • Codes

    Il y a dans chaque matin
    qui vient vous toquer
    sous les paupières
    la main tremblante
    d'un vieux traîneur
    de bistrot
    un air de quartier perdu
    de cité dortoir
    peuplée par les souvenirs
    dormants d'un autre

    Mardi dernier
    en quittant l'école
    où je mène un atelier
    d'écriture auprès d'enfants
    lesquels aimeraient
    à l'image de tous
    les gamins du monde
    qu'on les laisse simplement
    rêver à hauteur d'enfance
    j'ai eu envie de franchir
    le seuil de ce barber shop
    Peut-être précisément
    parce que la boutique
    meublée par mon regard
    depuis la rue
    ressemble à un balcon
    d'où cascaderait
    à flots continus
    ces airs de mandoline
    qui ne semblent pas
    être là pour être aimés

    J'ai vécu quelques mois
    au pied de Ménilmontant
    et à l'époque
    je me rasais moi-même
    quand j'y pensais
    et quand ça me prennait
    je faisais ça assez mal

    En m'asseyant sur le fauteuil
    j' ai revu mon grand-père
    devant son plat à barbe
    À la main
    son rasoir mécanique
    et la précision qu'il mettait
    dans chacun de ses gestes
    Mon grand-père se rasait
    dans la remise
    son haleine bleutée
    se cognait à chaque
    glissement du coupe-chou
    contre le givre
    de ce méchant
    morceau de verre
    qui faisait office de miroir
    La radio diffusait
    la météo marine
    et j'avais l'impression
    que les adultes
    en profitaient
    pour s'échanger
    des noms de code

  • Tueries de masse

    Plus je m'avance 

    du vent dans les bronches 

    sous le couvert où la forêt 

    tremble dans l'ombre 

    comme une lune

    dans sa flaque de boue

    plus mes émotions 

    se disloquent 

    les unes après les autres 

    Une pluie de balles molles

    qui ricochent

    au pied des troncs

    amorties en douceur 

    par le commencement 

    d'un tapis de feuilles 

    Terminent leurs courses 

    en roue libre à l'abri 

    des fougères rabougries 

    qui déjà annoncent

    l'automne et ses 

    tueries de masse

     

    Plus je m'enfonce 

    au devant

    de ces rumeurs 

    d'hostilités vagabondes

    plus les branches basses 

    s'accrochent mais 

    nul désir d'en découdre 

    Sans doute ont-elles 

    aussi peur que moi

    Peur qu'un matin 

    la terre ne sente plus 

    l'orage 

    Peur qu'un de ces soirs 

    prochains 

    en infériorité numérique 

    le ciel perde définitivement 

    l'usage de ses jambes 

    Peut-être aimeraient-elles

    me prendre 

    entre leurs bras

    dans cette douceur triste 

    et qui vous engourdit

    Peut-être...