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  • Tu dis la tendresse...

    Tu dis le pont de Gênes

    et l'attentat

    de Westminster, 

    tu dis que même,

    parfois,

    alors tu pleures,

    surtout

    quand je tente

    de m'évader

    de ta présence

    derrière ma corbeille

    de passions

    vides...

    Tu dis, chaton,

    je m'en fous

    que tu sois tendre.

    Tu dis la tendresse...

    Cet été,

    un peu après

    toi,

    sais-tu, au moins,

    comme j'ai eu envie

    de faire l'amour 

    à cette guêpe 

    pendant que tes remords

    se mêlaient

    au reste du bétail...

    Tu dis que tu t'en fous,

    putain,

    que je veuille étendre

    mes bras

    jusqu'à l'océan.

    Tu dis: j'espère qu'un jour,

    tu vas en finir,

    une bonne fois

    pour toutes,

    avec ces histoires

    de garçons perdus.

    Tu dis, chaton,

    le dentifrice

    ne peut pas toujours

    tout résoudre...

    Tu dis la tendresse...

     

  • Quelque chose de nouveau...

    Les enfants s'excitent dans le jardin et ce sera bientôt l'heure de la petite
    partie de rugby à toucher. Une sorte de rituel hebdomadaire. Je ne sais plus trop, à vrai dire, de quelle époque date cette habitude qui veut que dans la famille de mon vieil ami, chaque dimanche, oui, quasiment, les «anciens» défient ainsi donc les plus jeunes, à moins que ce ne soit plutôt l'inverse. Disons que ça s'est fait comme ça. J'imagine que le succès de tous ces dimanches de la vie reposent, encore et toujours, sur ce rêve immense et dispersé qu'ici on nomme rugby, ailleurs musique, cinéma ou littérature et tout cela n'est jamais qu'une manière comme une autre de perpétuer les belles tragédies de la jeunesse. Oui, c'est un subterfuge astucieux qui permet aux gens un peu sur l'âge de prendre à revers le sentiment de solitude qui peut vous chavirer le cœur au milieu d'une bande de verres vides. Parce que notre petit empire prend un peu la poussière...

     

    La veille, j'ai pris un train pour rejoindre notre vieille bande. Le club dont j'avais défendu les couleurs à l'époque de nos vingt ans battait de l'aile. Une trésorerie en souffrance. Des installations qui menaçaient ruine. Une réunion «entre anciens» était prévue pour mettre en œuvre un plan de sauvetage. Le temps jouait contre nous mais il fallait bien faire quelque chose. Quelques uns mettaient déjà la main à la pâte. Certains prenaient sur leurs temps libre pour réaliser des travaux de maçonnerie. Et puis des heures passées au téléphone, pour d'autres, partis en quête de partenaires locaux. Moi aussi, j'ai voulu apporter ma contribution. Je n'étais pas en mesure d'affronter la mort, non, pas maintenant. La veille, alors et presque sans réfléchir, j'ai donc pris ce train pour retrouver mes anciens complices. C'était, vous savez, un de ces gestes en pure perte qu'on a l'impression d'accomplir au nom de la morale et de la liberté...

     

    Les enfants guettent le coin de véranda où l'alcool de prune n'en finit plus de nous brûler la gorge. Leurs regards sont implorants, avec dans les yeux comme une attente et ce je ne sais quoi d'impatience qui agite leurs mains, l'air de dire «oh, on y va quand vous voulez...» Pour eux, c'est autre chose qui se joue. Ils sont jeunes, ne tiennent pas en place. Mettre leur vie en mouvement, voilà tout ce à quoi ils aspirent. Une partie à toucher. Des feintes, des passes, des crochets et des courses, une douche rapide et ils seront repartis. Mais, justement, nous prenons un malin plaisir à faire durer leur attente. L'attente. Sans doute l'un des derniers petits luxes pour ceux qui sentent leurs forces décliner. Sans doute...

     

    Le train roule, je déplie mollement les pages d'un journal avec l'espoir qu'elles se mettent à frémir sous mes doigts. Des images de la France fugitive défilent dans un silence poussiéreux. Deux sièges plus loin, il y a cette fille, l'air de quelqu'une qui cherche en elle un sentiment négatif digne d'intérêt. Elle se lève, ses velléités de fuite pas bien difficiles à retenir dans son manteau plissé en lainage rouge. Pourquoi est-ce que je me lève à mon tour? Qu'est-ce qui peut bien me pousser à la suivre jusqu'au wagon bar? Peut-être son sourire de Joconde qui vous incite à la questionner...

     

    Depuis quelques minutes, les enfants se sont regroupés à l'ombre d'un tilleul et là dessous, comme du moins je le suppose à leurs mines de conjurés, ils répètent leurs petites combines à pétrole. Bien décidés cette fois à «nous mettre à l'amende.» J'avale cul-sec mon verre de prune. Il me tarde que la partie commence. «Tu sais, me confie mon ancien complice de troisième ligne et soudain je lui trouve un air sombre, comme si la tristesse lui tombait sur le visage comme un rideau, tu sais, il se peut qu'un jour des mécènes très puissants parviennent à accaparer tout ce qui fait le sel de ce jeu que j'aime encore d'un amour tendre, tu vois, comme d'autres l'ont fait avec le charbon, enfin, je ne sais quoi, les denrées essentielles, oui, et même avec tout le reste, mais...» Est-ce parce que je me suis levé en feignant de n'avoir prêté aucune attention à ce qu'il vient d'énoncer, oui, est-ce pour cette raison qu'il ne termine pas sa phrase? Peut-être. Et ça vaut mieux. Trente ans d'amitié commune et c'est bien la première fois que je le surprends en flagrant délit de nostalgie. Et puis je n'ai pas aimé non plus la façon qu'a eu son frère d'acquiescer en silence. Non. Pas du tout. Pourquoi tout à3 coup la nostalgie? Ce venin de la nostalgie qui peut prendre de nombreuses formes: des poudres de toutes sortes, du vin bourru, des idées noires. Je ne suis pas revenu ici pour entendre ça. J'ai, tout comme lui et les autres, tous les autres, seulement envie de sauver le club du naufrage qui se dessine. Et non, ce n'était guère mieux avant. Il y a seulement que nous étions plus jeunes, avant, et c'est tout. Et après? Je rejoins les gamins qui trépignent. Mon ami et son frère décident finalement de m'emboîter le pas. C'est tellement mieux ainsi. La nostalgie n'est qu'une maladie des bronches...

     

    Accoudé au bar, j'observe la fille au manteau rouge. Son regard semble happé par le paysage. Il y a surtout cette lumière voilée qui nimbe le wagon d'une atmosphère particulière. Une lumière qui invite à faire le vide sans y être contraint. Aucune vie n'échappe à la vieillesse, à la solitude et à la mort. Mais le vide enseigne à voir les choses plus clairement et alors je me souviens de toutes ces fois où avec mon vieux complice de troisième ligne, nous allions, après chaque rencontre et de retour à peu près indemnes de ces cérémonies païennes de l'après match, flâner dans le stade désert. Si nous allions, au fond c'était seulement pour écouter le silence. «Tu vois, mon pote, me dit-il, un de ces soirs justement, je crois qu'un match est vraiment réussi quand on a l'impression d'avoir appris sur nous-même quelque chose de nouveau...»

     

  • On naît avec des ailes ou pas...

    Lorsque j’arrive enfin sous la véranda, le monde est toujours établi dans le silence, mon dos accuse le coup et il y a cette voix lointaine qui annonce une chute brutale des températures- 0 ° mais un ressenti de -4- le vieux poste de radio qui crachote sa symphonie en ré mineur pour parasites et alors je m’écroule dans le vieux fauteuil à bascule d’où j’ai une vue imprenable sur l’épaisse forêt qui noircit les pentes de l’Ourtizet et je me souviens aujourd’hui de mon vieux copain de première ligne- un pilier droit à la force cosmique- et je l’entends encore mon vieux copain – il travaillait à l’ONF - oui, je l’entends encore m’expliquer pourquoi, vers la fin du XIX ème siècle, une loi spécifiait qu’il fallait reboiser les zones de montagne afin de lutter contre les avalanches, mon vieux copain m’expliquant, aussi et surtout, comment cette foret n’avait eu alors de cesse de grignoter les zones de pâtures alentour. Et dans quelle mesure- beaucoup au club l’appelaient d’ailleurs le «fadurle», en patois ça désignait un fou, d’autres le poète-dans quelle mesure, donc, cette foret, à l’époque plantée un peu à la diable et où l’on retrouvait toutes sortes d’espèces pas spécialement réputées pour pousser et croître dans les mêmes territoires, lui semblait la métaphore parfaite de notre équipe. Tu vois ces mélèzes, me disait-il, avec leurs branches et leurs épines pendantes comme s’ils manquaient d’eau, tu ne trouves pas qu’on dirait nos deux secondes lignes? Tu sais, le mélèze, en plus c’est un arbre qui a besoin d’altitude et de pleine lumière pour se développer. Comme nos deux gusses quand ils s’élancent pour disputer la touche. Nous autres les piliers, on serait plutôt de la famille du chêne. Le tronc solide pareil. Tiens, le flanker idéal, si tu veux tout savoir, c’est un épicéa…

    Lorsque je me suis réveillé, ce matin, j’ai déplié ma vieille carcasse dont tous les os se sont mis à craquer un à un, et le nez à la fenêtre, j’ai senti le froid sur le jardin et j’ai fait ça en soufflant un peu de buée dont la course molle est venue butter contre les vitres et alors je me suis souvenu de ce que mon vieux copain pilier me disait et c’était toujours au plus fort des troisième mi-temps, vous savez, quand les hommes tentent de dénicher des preuves d’amour au milieu de la tempête. Le club-house donnait lui aussi sur les pentes de l’Ourtizet- en patois, littéralement, la montagne de l’Ours- mais le stade étant niché au pied des contreforts pyrénéens, de là nous avions vraiment l’impression que la montagne nous dominait, nous renvoyait à notre pauvre condition d’êtres minuscules. On naît avec des ailes ou pas et mon ami pilier- la plupart de nos coéquipiers d’alors aussi, du reste- et moi sommes nés au pied de ces montagnes noires. Chez nous on disait qu’on était du sud. Oui mais c’était un de ces Sud hostiles, vous savez. Un de ces Sud rien qu’en matrones autoritaires. Un de ces Sud tout en paternels revêches et, vous auriez dit, perpétuellement de méchante humeur…

     

    Lui était né à cette heure tardive, une heure bâtarde où on a mis, et depuis longtemps, les gens à travailler, et cette heure, alors, c’est une heure où les poussières du regain achèvent de coller nos derniers rêves à la graisse-au gasoil des engins agricoles et, pour finir, de poisser tout ça à la sueur des tricots de corps. Là-bas, à l’époque, je m’en souviens, ils disaient: tricot de peau. Ils disaient comme ça. Là-bas. A cette heure, vous savez, on rentre des champs et le soleil, déjà, se tient en embuscade...

     

    Je me souviens de cette époque où la virilité ne se cherchait pas encore d’excuses. Le sud d’où je viens, il est n’est pas bâti sur le sol, non, c’est sur les femmes qu’il repose tout entier. Il s’ouvre avec leurs bras, quand il daigne s’ouvrir, et se referme, un peu plus tard, sur leurs mystères. Ces mystères qui, d’après mon vieux copain pilier, rendaient les hommes du rugby si souvent bavards, atrabilaires, bravaches, un peu menteurs, beaucoup trop matamores. «Fadurle» et poète comme lui. Mais oui. Et c’est souvent que je rêve d’inclure tous ces lambeaux de souvenirs dans un long plan séquence. Mais oui. Aussi simple que ça. Action. Action demandée. Action! Grand champ et coquelicot. Et les femmes, toutes les femmes-presque toutes, car bien sûr, bien sûr, et les filles toutes les filles- presque toutes car… qui par ici ne sont pas aussi fragiles qu’on a bien voulu vous le faire croire. Pas fragiles. Mais non! Pas du tout. Pas potiches pour deux choux. Pas en sucre. Encore moins à la vanille ni en chocolat. Oui toutes les femmes, toutes les filles, pour lesquelles, chaque dimanche, comme il disait, mon vieux copain pilier, alors que nos esprits étaient en proie aux flammes, nous adossions nos espoirs au vent de la prairie«rugbymane», au risque de nous égarer dans les bras du mal. Mais après tout, c’est le hasard de la jeunesse qui mène à la ruine et nous étions tous prêts, oui résolument prêts à courir nos risques après ce satané bout de cuir. Et c’était là-bas, dans ce stade niché au pied de l’Ourtizet, que tous nous vérifions, semaine après semaine, le vieil adage selon lequel les plaisirs violents ont parfois des fins violentes. Oui. Parfois.