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Lubies - Page 204

  • Elle et Lui

    Parfois, Elle se sent seule. Alors Elle secoue ses cheveux. Pour voir.


    Parfois Il pense avoir tout gagné. Dans ces moments-là, Elle trouve que la victoire a mauvaise haleine.


    Lui, Il fut un long moment à l'épier par en dessous. On lui voyait un drôle d'air. C'était l'air de celui prêt à mourir d'un torticolis en phase terminale juste pour regarder sous ses jupes, comme ça.

     

    Il regarde la pluie qui tombe sur les gens. Elle regarde les gens qui tombent sous la pluie.

     

    Elle et Lui alors ils se demandent quand le ciel se décidera enfin pour le bleu. Non parce que, ployer sous la pluie, n'en peuvent plus. Non parce que vivre dans cet immeuble gris rien qu'un bloc de grisaille et que leurs os qui craquent en raclant le matelas, c'est vieillir de froid, c'est sentir la peau qui peu à peu se déclasse. Elle, plus qu'un mot. Lui, plus qu'un mot. Le même. Soleil. Et un soleil qui, dès demain, saurait tenir son rang dans l'aube. Voilà.

     

    Au moment de descendre les poubelles, c'est vrai, Il a souvent la tête d'un explorateur perdu.

     

    Elle et Lui ont des enfants. Une fille. Un garçon. Une plus un et tout ça qui donc nous en fait deux. Aujourd'hui les enfants ont voulu Paris. Pour eux Paris, tu sais, ça fait comme une magie. Surtout lors du retour en train où tu dirais que leurs yeux rejouent l'harmonie du soir sur la mer. Aujourd'hui, les enfants ont surtout voulu le Musée d'Orsay. Ça tombait bien. Il voulait revoir ce tableau de Jules Lefebvre. "La vérité."

     

    Il s'est levé d'un coup sec. Elle aurait bien aimé, pour une fois, qu'ils s'attardent un peu au lit. Oui, pour une fois. Il s'est fait couler un café. Il a fait dégager le chat qui gênait la circulation. Puis Il est revenu vers Elle qui s'était rendormie. Il l'a trouvée très belle. Il le lui a dit. Ses cheveux reposaient pieusement sur l'oreiller. Et ses cuisses avaient cette grâce alourdie, tu sais. Cette grâce. Oui. Et puis il lui a raconté ce rêve. C'était un rêve avec un homme sur l'âge. C'était un homme rongé par la culpabilité. Un homme qui depuis trois ans s'imposait une drôle de pénitence, parce que. Parce que, voilà. Il s'est mis à pleurer. Elle l'a pris dans ses bras. Elle a bu ses larmes comme une marée.


    Elle c'est Elle. Lui, maintenant, on commence à y voir plus clair. Elle c'est le vrai visage de l'amour. Voilà. Débrouillez-vous avec ça. Elle, Elle aime vraiment vraiment les biscottes, sinon. Elle en croque toujours trois ou quatre. Et de bel appétit. Surtout le matin quand c'est férié et qu'Il voudrait apprendre enfin à les beurrer comme y faut, ces fichues biscottes, bref, s'y mettre pour de vrai, faire ça comme un véritable professionnel de la profession, sans que ce soit, tout de suite, ce festin de miettes, cette partie perdue d'avance. C'est même rien qu'à cause de ça qu'il a les mains moites, tenez...

    (Photo Frédérick Jeantet)

  • Je sais...

    Je sais…Oh mais mon dieu que cette table doit te sembler froide sous la main…Je sais que tu es jeune et que le soleil brille encore assez haut. Si jeune. Je sais…Nous sommes vendredi et ta mère doit peler des pommes. Sa pâte brisée repose comme d’habitude dans un linge, au frigo. Et dire que tu voulais des sushis et un smoothie. Je sais…C’est l’heure où toutes les écoles de la ville déversent ces silhouettes fugitives qui filent sur le trottoir de l’ombre comme les rêves perdus de l’enfance. Je sais que l’enfance c’est ce quartier perdu. Un de plus que le crépuscule, sans prévenir, aura frappé d’alignement. Je sais que toutes les pétitions du monde n’auraient, de toute façon, rien pu faire. L’enfance ça commence par des envies de mercure, de planètes lointaine et puis peu à peu les petits nez s’allongent, se mettent à sentir la colle, le tabac froid, des trucs de contrebande qu’on s’attendait pas à trouver en chemin. Je sais…Pour un silence de trop, un mot compris de travers, tu bascules dans un entre soi, tout à tour lumineux et sombre, où une poignée d’amis, maladroits oui mais des tendresses minuscules, assure la relève de la famille. Je sais...C’est l’age où tu commences à fomenter un tas de petits groupes comme autant de républiques précaires. Et tout ça pue un peu la mort, la chaussette sale et la lose. Je sais…Tout ce qui t’importe c’est qu’au moins l’énergie circule. Je sais…D’autres pensent déjà à la suite qu’il va falloir donner à leur parcours sans faute, quand tu clames à perdre haleine ton droit à l’erreur…Je sais…Tu tombes amoureux et puis tu te relèves. Je sais que tu attends que ça saigne sous l’épingle où tu penses avoir accroché ton cœur…Je sais…Ton père te propose de l’accompagner au match, parce qu’en principe quand même…Pas que l’idée te déplaise. Non. Mais tu ne supportes plus qu’il t’appelle encore par ce surnom atroce et ridicule de quand t’étais petit. Je sais qu’alors tu surjoues la colère. Le mépris. Je sais…Même s’il ne le montre pas trop, tu sais que ça le rend triste. Et puis il passe à autre chose. Il est passé par là, lui aussi, un jour peut-être, plus tard, il te racontera la tête de son vieux en découvrant ce poster de Bowie punaisé dans sa chambre, celui où il pose vêtu en robe longue. Oui. Plus tard, peut-être…Je sais qu’au fond je ne sais rien à part ce que tu veux bien m’apprendre. Je sais que j’ai tout le temps pour ça. Que le temps, c’est encore une façon de parcourir sa jeunesse en sens inverse. Avec un âne et trois euros…

  • ...

    (Photo Frédérick Jeantet)

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