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Lubies - Page 19

  • Caricatures

    La nuit est douce
    Depuis la place des Abbesses
    enfle la rumeur d'une dispute
    Trois jeunes hommes
    vingt ans tout au plus
    toujours les mêmes
    que des trottinettes électriques
    recrachent chaque soir
    depuis la gorge brûlante
    de la ville basse
    Au début il s'agit de chiller
    Ça se passe avachis
    sur un banc
    Où perchés là-dessus
    comme des chats
    soucieux de tenir la position
    de cet avant poste de la solitude
    Trois ombres qui aimeraient
    rouler un peu en dehors 
    de ce jardin de pierres
    où les petites médiocrités
    de l'époque les petits
    coups de pute du marketing
    les ont relégués
    Ils cherchent à retenir
    l'attention de groupes
    plus clairsemés à cette heure
    de touristes
    et dans un poème idéal
    on voudrait que ceux-ci
    aient le regard perdu pour de bon
    après un bug de Google maps
    que leurs interactions
    avec le monde extérieur
    se limitent à des désirs malsains
    de marchands de glace
    Et soudain sur le banc ça bouge
    Ça se lance une volée
    d'adjectifs sauvage
    en pleine figure
    Aucun n'atteint vraiment sa cible
    Leurs chiens jusque là
    assoupis à leurs pieds
    sur leur fin de race
    et qui n'ont pas encore
    appris le combat de rue
    sont encouragés à entrer
    aussitôt en scène
    Alors ils s'aboient dessus
    mais sans que la bave
    ne leur vienne aux lèvres
    Tout ça bien sûr
    n'effraie plus grand monde
    C'est autre chose
    qui se joue mal ici
    Tout est en place
    Les claquettes les chaussettes
    blanches forcément blanches
    Tout est en ordre
    L'adolescence...
    son envie opiniâtre
    de se succéder à elle-même
    Aujourd'hui ses petites maladresses
    trônent sur le profil d'un influenceur
    pas mieux pas pire
    que les affiches ou les couvertures

    de magazines que le temps a froissé
    Qui s'en souvient vraiment ?
    Hier il était une fois
    d'autres habitudes
    d'autres fringues
    d'autres trouvailles de langage
    Et toutes racontent
    cet âge dont les ingratitudes
    traînent leurs humeurs
    en écumant les vastes
    territoires de l'ennui
    La nuit est douce
    Il y a fort fort longtemps
    J'aurais voulu savoir
    à quoi ressemblait
    vraiment son visage
    Mais la nuit n'a jamais eu
    de visage
    Le pays peut dormir tranquille
    Se pencher à la fenêtre
    Humer l'air en captant
    à la sauvette
    les maigres caricatures
    que les villes ont à offrir
    Croire à l'existence
    d'un monde régi
    par des forces cosmiques

  • Malentendu poétique

    Je respecte les gens qui savent danser

    les corps transpirant en pure perte

    et bientôt chaque mouvement

    chaque pas esquissent un désir

    d'isolement d'une organisation

    à l'écart de la métrique

    des flux et des clics

    Parfois ces choses-là arrivent

    aux heures les plus claires

    de la nuit 

    comme un malentendu poétique

    prolifère simple ponctuation

    du temps qui passe

    au bord d'un jardin d'eau

    attentif aux souvenirs

    Quelle valeur accordée aux mots

    quand l'urgence de nos gestes

    suffit à retarder un peu

    le cours de cette époque

    vendue à la vitesse ?

  • Somnambules

    Dans ma jeunesse la queue de cheval

    était la coiffure de prédilection

    de certains de mes amis

    les uns pressés les autres

    soucieux d'une coiffure stylée

    sans trop se prendre la tête 

    Les filles je n'ai jamais trop su

    J'ai vieilli en oubliant de leur demander

    Maintenant n'en parlons plus

    Il est trop tard

     

    Nous sommes en 2025

    et pour cet homme que j'observe

    depuis presque deux heures

    derrière une  fenêtre d'école

     il aura également suffi

    de quelques secondes

    et d'un élastique

    La vie aime parfois

    se simplifier l'existence

     

    Bientôt deux ans

    chaque midi entre 11h30 et 13h30

    que je guide un petit groupe

    de touts petits enfants

    vers une salle de sieste

    Quelques astuces de grands-mères 

    finissent par avoir raison

    de leurs turbulences de gosses

    souvent couchés trop tard

    ou ayant raté d'une gare

    le train du sommeil

    la veille

    ou confinés à deux

    sur un coin de matelas 

    temporaine et trop étroit

    J'éprouve une tendresse particulière

    pour les enfants de cette école

    A chaque automne qui passe

    comme un cirque au ralenti

    je deviens pourtant

    de moins en moins sentimental

    de moins en moins sensible

    à tous ces trucs un peu tire-larmes

    L'enfance c'est autre chose 

    Un âge que ma mémoire

    a dû mettre entre parenthèses

    dans une zone de protection perpétuelle

    Un âge rempli d'intentions méchantes

    hérissées de tout un tas de gentillesses

     

    Cette salle de sieste

    a vue sur un immeuble

    dont la façade m'évoque

    un paquebot échoué en cale sèche

    Dans ma jeunesse certains de mes amis

    arboraient encore une queue de cheval

    L'homme que j'observe

    en train de faire les cent pas

    au pied de l'immeuble

    sa tête basse qui mesure

    la longueur du jour

    depuis la salle où quinze petits corps

    dorment paisiblement

    aurait pu faire partie

    du petit groupe que nous formions

    il y a quelques cauchemars

    somnambules de là