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  • Contre le crépuscule

    Où vers quoi

    pédale-t-il

    chaque matin 

    cet homme précédé 

    d'un grand chien fauve

    comme un réveil 

    maussade 

    dans l'aube brouillée ?

    À cette heure 

    aucun cri de nourrisson 

    pour faire office 

    de chant du coq 

    Aucune portière claquée 

    vers une envie de croissant 

    La presse quotidienne régionale 

    patiente comme une épouse 

    de longue peine 

    avant l'heure légale 

    des visites 

     

     Il est presque toujours 

    6 h 00

    quand ma cigarette et moi

    nous l'apercevons 

    Tous les balcons 

    de la résidence 

    peinent à boire 

    l'eau moite de la nuit

    La marée remonte

    en bas sur la plage 

    L'air d'une vieille foraine 

    qui pousse ses cerceaux 

    contre le crépuscule 

     

    Il est presque toujours

    7 h 00

    quand nous guettons

    le retour du cycliste 

    et de son chien 

    C'est chose vaine 

    Sans doute appartient-il 

    à cette espèce d'êtres

    qui n'ont nul besoin

    de test de paternité 

    pour valider leur existence 

    Alors ils vont

    gagnent ou perdent 

    et jamais ne reviennent 

     

    Entre les pins 

    l'orage traîne encore 

    sans dissuader pour autant 

    les joggeurs éternels 

    Ni les promeneuses 

    de cabots

    parties voir

    si le sable refusera

    pour peu que la pluie 

    s'y mette

    d'escorter leurs joies 

    toutes simples 

    d'être là tout simplement 

    Certains fument leur

    gueule de bois

    au menthol

    D'autres courent après 

    une jeunesse perdue 

    d'avance 

    Les enfants de promeneuses 

    de cabots

    ont-ils plus de chance 

    de tenir leurs rêves

    en laisse ?

    Les gens ont dû mal 

    à arrêter 

    ce qui est mauvais 

    pour eux 

     

     

  • Les lèvres de la grande eau

    Le cri des mouettes s'écrase 

    contre la mousse de mon café 

    Parfois la mer nous calcule 

    avec un peu trop de facilité 

    Derrière le phare les vents 

    font claquer les voiles 

    Un break se gare en bas 

    de l'immeuble à l'intérieur 

    l'amour c'est du bruit 

    une certaine idée de la guerre 

    en couleurs et le monde ignore 

    encore si la pêche sera bonne 

    La Manche se moque bien 

    de nos coudes à coudes de fourmis 

    Nous ne sommes que des mains 

    qui écrivent dans le sable 

     

    Le cri des mouettes s'écrase 

    contre la mousse de mon café 

    Une fille en tongs part

    promener ses tatouages 

    probablement le long de la côte

    Si je devais choisir une image 

    probablement j'écrirais qu'il s'agit 

    d'une actrice sur le point 

    d'incarner le rôle principal 

    de la première série inspirée du film Alien 

    Il fait frais ce matin 

    Son t-shirt s'agite on dirait qu'il regrette 

    de s'être un peu trompé de destination 

    Mais on ne peut pas jouer 

    si on ne joue pas 

     C'est elle qui a eu le rôle alors voilà 

     

    Le cri des mouettes s'écrase 

    contre la mousse de mon café 

    Tu dis les mouettes 

    elles me font peur

    Je comprends en regardant 

    ce gros chat

    Sa langue qui titube 

    après avoir dansé une partie 

    de la nuit dans une boîte de sardines 

    Le cri des mouettes s'écrase 

    contre la mousse de mon café 

    Parfois je suis si effrayé 

    par l'avenir 

    Tu me dis toujours 

    Tu sais que tu peux prendre une photo 

    de tout ce que tu n'as pas encore vu

    en imaginant la place que tu occuperas 

    dans un futur proche 

     

    Je fume mes petites bouffées d'angoisse 

    Contre le vent s'épuise quelques lambeaux 

    de mélancolie et tout ça glisse sur les toits 

    mieux qu'une caresse de plumes 

    Si j'écrivais de la poésie 

    chaque cigarette après l'amour 

    ferait la fortune de tous les chiffonniers d'Emmaüs 

    d'ici aux terres désertes qui jouxtent 

    les lèvres de la grande eau ...

     

  • Elle et Lui

    Parfois, Elle se sent seule. Alors Elle secoue ses cheveux. Pour voir.


    Parfois Il pense avoir tout gagné. Dans ces moments-là, Elle trouve que la victoire a mauvaise haleine.


    Lui, Il fut un long moment à l'épier par en dessous. On lui voyait un drôle d'air. C'était l'air de celui prêt à mourir d'un torticolis en phase terminale juste pour regarder sous ses jupes, comme ça.

     

    Il regarde la pluie qui tombe sur les gens. Elle regarde les gens qui tombent sous la pluie.

     

    Elle et Lui alors ils se demandent quand le ciel se décidera enfin pour le bleu. Non parce que, ployer sous la pluie, n'en peuvent plus. Non parce que vivre dans cet immeuble gris rien qu'un bloc de grisaille et que leurs os qui craquent en raclant le matelas, c'est vieillir de froid, c'est sentir la peau qui peu à peu se déclasse. Elle, plus qu'un mot. Lui, plus qu'un mot. Le même. Soleil. Et un soleil qui, dès demain, saurait tenir son rang dans l'aube. Voilà.

     

    Au moment de descendre les poubelles, c'est vrai, Il a souvent la tête d'un explorateur perdu.

     

    Elle et Lui ont des enfants. Une fille. Un garçon. Une plus un et tout ça qui donc nous en fait deux. Aujourd'hui les enfants ont voulu Paris. Pour eux Paris, tu sais, ça fait comme une magie. Surtout lors du retour en train où tu dirais que leurs yeux rejouent l'harmonie du soir sur la mer. Aujourd'hui, les enfants ont surtout voulu le Musée d'Orsay. Ça tombait bien. Il voulait revoir ce tableau de Jules Lefebvre. "La vérité."

     

    Il s'est levé d'un coup sec. Elle aurait bien aimé, pour une fois, qu'ils s'attardent un peu au lit. Oui, pour une fois. Il s'est fait couler un café. Il a fait dégager le chat qui gênait la circulation. Puis Il est revenu vers Elle qui s'était rendormie. Il l'a trouvée très belle. Il le lui a dit. Ses cheveux reposaient pieusement sur l'oreiller. Et ses cuisses avaient cette grâce alourdie, tu sais. Cette grâce. Oui. Et puis il lui a raconté ce rêve. C'était un rêve avec un homme sur l'âge. C'était un homme rongé par la culpabilité. Un homme qui depuis trois ans s'imposait une drôle de pénitence, parce que. Parce que, voilà. Il s'est mis à pleurer. Elle l'a pris dans ses bras. Elle a bu ses larmes comme une marée.


    Elle c'est Elle. Lui, maintenant, on commence à y voir plus clair. Elle c'est le vrai visage de l'amour. Voilà. Débrouillez-vous avec ça. Elle, Elle aime vraiment vraiment les biscottes, sinon. Elle en croque toujours trois ou quatre. Et de bel appétit. Surtout le matin quand c'est férié et qu'Il voudrait apprendre enfin à les beurrer comme y faut, ces fichues biscottes, bref, s'y mettre pour de vrai, faire ça comme un véritable professionnel de la profession, sans que ce soit, tout de suite, ce festin de miettes, cette partie perdue d'avance. C'est même rien qu'à cause de ça qu'il a les mains moites, tenez...

    (Photo Frédérick Jeantet)