Poème narratif

J'ai enfilé ce matin
me dit-il
comme une chemise
avec des boutons
beaucoup trop gros
Certaines personnes
naissent
la colère au visage
les poings déjà serrés
Parfois dans la ville
basse
un café se met soudain
à ressembler
à un de ces villages
où les secrets
ne restent pas
longtemps enfouis
Je m'étais installé
en terrasse
pour fumer tranquillement
mon envie temporaire
de solitude
Et son voisinage taciturne
n'incitait pas
à la méfiance
Le passage
d'une voiture de police
a peut-être ravivé
de bien mauvais souvenirs
Ou c'était seulement
un de ces moments
dans la vie
quand taire ce qu'on
n'arrive pas à dire
menace de vous serrer
la gorge
au point qu'importe
si les mots se bousculent
dans un cortège
de paranoïa et de confusion
pourvu qu'ils offrent
ce peu de souffle
De quoi respirer
J'avais tout juste
dix-sept ans
me dit-il
quand je suis monté
à Paris
Bien sûr il fallait se loger
et moi au début
je dormais dans les squares
J'étais débrouillard
j'ai fait serveur la nuit
J''aimais bien
J'étais assez beau garçon
J'ai commencé une carrière
dans le X
Plus les tournages
s'enchaînaient
plus j'avais l'impression
de jeter aux chiens
des morceaux brisés
de moi-même
Pour tenir le coup
endurer le regard
des autres
Tenir les cadences
son nez était devenu
un aspirateur à coke
L'homme de sa vie
avait voulu l'aider
à faire le ménage
À mettre un peu de distance
entre leur nouvelle vie
et ses démons
Mais rien ne dure toujours
L'alcool ensuite
aussi étonnant que ça puisse...
c'était une lutte à mort
pour me bourrer le crâne
avec d'autres beaux
mensonges
Aujourd'hui il rêvait
de devenir paysagiste
Depuis son dernier sevrage
chaque soir
il trompait son petit
troupeau de nuages
en marchand son bel
amour perdu
sous les étoiles
Sans doute
ai-je eu envie d'être
encore plus bienveillant
que la moyenne
Alors je l'ai regardé
jusqu'au bout
faire le tri
dans ses poubelles
Il n'était que 7h30
j'en avais le droit
La journée ferait ensuite
sa sale besogne
Commentaires
À l'étal de sa nuit, il vendait son bel amour perdu.
Quel joli comble pour un brocanteur de poudre...
Même les nuages trahis ont souri!