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"Armaguédon strip" de Frédérick Houdaer et la fille sur le quai juste en face de chez moi...

Les temps sont durs. L'hiver, décidément, a l'âme bien rude. Ma calvitie tient le coup mais pour combien de temps encore...Oui, mes petits chats. Les temps sont durs. Le président Macron se prépare pour le salon de l'agriculture en faisant ses exercices quotidiens de pleine conscience.  Valérie Lemercier que j'ai pu approcher de très très près, vers 1994 et quelques poussières de lune- c'était au Shéhérazade. Un club niché dans l'anonymat confortable des pentes réprouvées du quartier de l'Europe. C'était un temps où ni elle ni Michèle Laroque n'avaient les moyens de recourir au bistouri de luxe. Leurs défauts étonnants et dansables ont pu, ça et là, pousser certains de mes amis à maquiller quelques backrooms en entrée des fantômes. Un peu après, la précision est d'importance, Patti Smith s'est mise à ressembler à ma prof de Maths. Je suis tombé éperdument amoureux de ma prof de Maths. J'aurais pu faire de mes fantasmes une revue d'artiste à géométrie variable. Mais Adieu Berthe, c'était un temps de night-clubs majestueux et pleins de sagesse. Un soir de jeunesse socialiste et de slow braguette, une fine poupée rance dopée au jus de mangoustan auquel une poignée de jeunes gens modernes avait recourt à des fins festives (après il faudrait encore planifier son alcoolisme mondain. Rêver. Lire le journal. Râler en regardant sa montre. Après...), un soir cette fille s'est fendue d'un petit conseil à la sauvette. " Mon garçon, il est temps que tu fasses au moins semblant de lire." Elle lisait, en temps réel, Maupassant et Paula Fox, alors... J'ai d'abord écrit, très mal, sur les musiques populaires et électrifiées. Comme je n'ai jamais eu l'oreille très musicale, j'ai fini par me ranger à son avis. Un ami Disc Jokey, juste avant qu'il ne se suicide en faisant réchauffer son Malibu orange au four micro-ondes, m'avait gentiment recommandé à ce vieux critique littéraire dont je préfère taire le nom. Un homme d'une grande délicatesse. Amateur de musique cubaine et de terrine de campagne.  J'ai donc écrit, encore plus mal, sur les livres. C'était moche, atroce, tronché jusqu'à l'os. Alors la même fille, devenue Love coach chez Grasset, quelques années plus loin: " Non mais tu t'embêtes pour des riens, chouchou. Tu lis juste la première phrase, la quatrième de couv', et puis la dernière. Le dossier de presse, mouais, à la rigueur. Ensuite tu bricoles et voilà. Et puis, tant qu'à faire, profites-en pour recycler à bon compte toutes les poses célèbres. T'empruntes. Tu détournes. Personne ne regarde jamais plus de ce côté-là. C'est comme chez les navy seals, tu sais, faut juste qu'on t'entraîne à passer le détecteur de mensonges et après tu tailles ta route. " Un temps béni, je vous disais. Les animateurs télé rêvaient encore de devenir écrivain maudit une fois tombés en retraite. S'il n'avait pas eu la triste idée de mourir bien des années plus tôt, Alain Pacadis aurait pu couler des jours tranquilles dans la chronique sportive ou se mettre à animer des ateliers d'écriture auprès d'établissement privés sous contrat. Laurent Wauquiez serait peut-être devenu responsable des scouts d'Europe pour toute la Haute-Loire. Stéphane Le Foll écrirait, va savoir, les meilleures punchlines du rap sarthois. Un temps béni de tous les possibles, vraiment. Les hommes politiques préféraient se suicider d'une balle dans la tête dans le coffre de leur break plutôt que d'envisager une carrière dans le stand-up. Avec un peu d'imagination, on pouvait croiser Frédéric Berthet et Thierry Ardisson, au Palace, devisant du popotin is not dead d'Anne Sinclair. Des pétitions circulaient un peu partout pour réclamer, entre autres jolies choses, que Susan Sontag présente la météo sur La cinq de Silvio Berlusconi. Un temps béni uniquement parce que nous étions plus jeunes, à cette époque-là-, Valérie Lemercier, donc, ne songeait pas à tourner prochainement un film sur Céline Dion.

Les temps sont durs. Mais je fais enfin mon âge. C'est déjà ça. Je ne lis quasiment plus. Je n'aime plus faire de mal à mon prochain. La liste des courses quand j'ai le temps et ça me donne de l'effort. Aviez-vous remarqué à quel point le temps nous manque toujours avec l'âge? Et puis ça me rappelle de trop mauvais souvenirs. Gâcher sa jeunesse à mal écrire sur des livres à peine lus, un coup à finir en deux-deux comme mascotte de troisième mi-temps à la légion étrangère. Oui, mes petits chats, je ne lis quasiment plus. Et surtout pas les bouquins de mes ami(e)s, que j'achète parce que je les aime bien quand même et que ma mère m'a transmis, moi au moins j'ai eu cette chance, les bonnes vieilles valeurs qui ont fait la grandeur de la France de Jean Jaurès à Lilian Thuram.  Les temps sont durs. Je regarde des matchs de rugby et des séries télé scandinaves( des séries américaines, aussi, mais uniquement les années bissextiles), et encore juste d'un œil, et ça fait belle lurette que mon œil s'est assoupi complaisamment sur sa fin de race.  Les temps sont durs. Et puis un jour, il y a une fille, une fille comme ça, sur le quai de la gare. J'habite en face de la gare. Je déteste les voyages et cette fille porte un bonnet. Elle a le bras gauche en écharpe. Un foulard pistache noué autour du cou avec la maladresse militante d'une écoterroriste. Je la regarde. Allongé sur mon fauteuil, la jambe gauche en appui précaire sur un tabouret de bar. Opération. Varice. Cinq jours plus tôt. Je fais enfin mon âge, disais-je. Et oui, je regarde cette fille comme ça. Et si je la regarde comme ça, c'est qu'un jour, quelques jours auparavant, il y a eu ce livre. Ce livre "Armaguédon strip". Un roman écrit par un ami, justement. Mais un ami pour de vrai, celui-là. Le genre d'ami pour de vrai qui vient chez toi, pousse même le vice de l'amitié aussi loin que possible. Par exemple, jusqu'à reprendre, à trois reprises qui plus est, du filet mignon au cidre que, pour une fois, tu n'as même pas fait exprès de faire cuire une demi-heure au delà de l'heure légale. Des amis de cette trempe, ça ne court pas les librairies, croyez-moi. Le Dilettante ("Armaguédon strip" est paru courant janvier au Dilettante)  a eu le bon goût de l'éditer. Qui est donc cet ami dont je viens de relire le bouquin pour la troisième fois, au moins, moi qui ne lis quasiment plus à part des listes de course à la rigueur? Lui, alors, c'est Frédérick Houdaer (prononcez HouDAR), il a écrit des polars, prononcez poLARS, au début de sa vie d'écrivain( "sais-tu seulement  que les bons écrivains ont plusieurs vies, chouchou", me répétait souvent la fine poupée rance que vous savez), et puis un jour, il en a eu marre de faire valser les cadavres comme tout le monde,  sauf que la lecture de "L'idiot n 2" publié en son temps( 1999, le temps passe si vite) au Serpent à Plume, aura tôt fait de vous démontrer qu'il ne se contentait pas, mais oui déjà à l'époque, de noircir le trait à outrance avec la grâce pataude de la plupart de ses congénères. Flics revenus de tout, le plus souvent, au style trop malpoli pour être vraiment malhonnête. Certains se sont mis à écrire de mauvaises séries télé, depuis. Quelque chose me dit, ( dans une autre vie, j'ai été un très mauvais aspirant scénariste. Le plus mauvais de sa génération. Là encore, j'ai payé pour voir), oui quelque chose me dit que l'ami HouDAR, pourrait en écrire de bien plus audacieuses, des séries télé. Ah oui. C'est juste qu'il a tellement mieux à faire.

Ecrire de la poésie, par exemple. De la poésie où l'image au détour d'un mot se met à sortir du son. Allez-y voir et revenez donc me dire, après coup,  si ça ne vous chavire pas le cœur, mes petits chats. Ne comptez surtout pas sur moi pour vous expliquer ce que les poèmes de Frédérick HouDAR veulent nous dire. "Si les poètes avaient quelque chose à nous dire, ils nous l'auraient dit depuis longtemps" Toujours cette fine poupée rance. J'ai eu tout le temps de comprendre, depuis, ce qu'elle entendait par là. Tout le temps d'en prendre la mesure. Comme vous aviez sans doute compris, et depuis le début de cette chronique, du moins je l'espère pour vous, chronique bricolée à la diable et qui se défend absolument d'en être une (c'est un métier d'écrire sur les livres qu'on aime alors qu'on ne lit quasiment plus), comme vous aviez sans doute compris qu'il ne faudrait surtout pas compter sur moi pour vous expliquer ce qu'"Armaguédon strip" peut bien raconter à la fin et même depuis le début. Si je me mettais à faire ça, vous perdriez à coup sur l'envie de le lire, comme je l'ai fait une première fois, d'une traite. Car il s'agit d'un bouquin qui se lit comme on regarderait une série télé, scandinave ou autre, sous l'habit de l'astuce, l'allusion est très sérieuse, oui il s'agit tout d'abord d'un bouquin qui se lit bel et bien en "binge-watching" et vous n’êtes pas sans savoir que pour qu'il y ait " binge-watching", encore faut-il qu'on soit capté par l'intrigue du début à la fin. HouDAR pourrait écrire d'audacieuses séries télé, ça il me semble vous l'avoir déjà dit, oui mais là il s'agit d'un roman. Beaucoup d'auteurs contemporains nous bassinent depuis quelques temps avec leur amour immodéré pour ce genre, devenu à la mode, hyper tendance et pour de très mauvaises raisons. Pourtant, très peu ont retenu les quelques leçons qu'il y avait à retenir de ce mauvais genre-là. Les quelques leçons? Le sens de l'ellipse, oui, entre autres. Le sens de la séquence, surtout ça, à mon humble avis. Ce sens bien compris de la séquence qui fait que, d'entrée de jeu, ( l'entame musclée du match. L'incipit qui vous colle fizza le cul sur le fauteuil) le dispositif ( un véritable dispositif de mise en scène, au sens cinématographique du terme. Je vous fiche mon billet que cet excellent roman ferait, aussi et surtout, un sacré bon film) d"Armaguédon strip", dont le style est pourtant nerveux au possible, à l'os, oui, pour une fois qu'un quatrième de couv' tombe juste, que ce dispositif s'efface au profit de tout le reste.  Et puisque, contrairement à ce que veut bien nous en dire par ailleurs ( par ailleurs c'est un peu partout, c'est un peu nulle part) la dite quatrième de couv'( "Chouchou, t'as encore tout compris de travers. Justement, elle est parfaite cette quatrième de couv'. Juste Parfaite." Oh hé toi, la petite poupée rance, tu peux pas te taire deux minutes. De toute façon, t'es morte, alors...)  tout le reste n'est que tendresse. Oui. Tendresse. Ou bonté, alors, si vous préférez. Parce que, mes petits chats, chez HouDAR, comme chez Carver et bien avant lui, chez Tchekhov( je sais, de suite, ça calme), tout repose sur cette antithèse, si on veut bien me permettre ce mot un peu savant, celle de la bonté et de la méchanceté.  La bonté? Comprendre ici, rien de plus que le démon du bien. Ce haut mal qui ronge nos petites sociétés si propres sur elle. La méchanceté? A peine une inconscience. Rien de bien méchant en somme. Une dernière chose avant de me lancer dans une nouvelle relecture d'"Armaguédon strip" ( quand on aime, on ne compte plus).  Les parfums de fin du monde ne valent pas tripette face à l'humour et au désespoir. Et l'humour est bien ici la politesse du désespoir... 

Commentaires

  • J'aime beaucoup ton nouveau format, et cette "critique" en particulier. Elle donne -réellement- envie de lire ce livre. J'ai été voir sur internet le pédigrée de l'auteur...Intéressant.
    Je ressors un peu K.O. d'une opération de la hanche et je tente de ressurgir dans un peu tous mes coins...Difficile.
    Les photos sont toujours fascinantes.

  • Bonjour,
    Mon cher André. Merci, vraiment. Je te souhaite un prompt rétablissement. Je sors d'une opération ( moi, ce n'est rien comparé à la hanche, puisqu'il s'est agi de me charcuter la jambe, mais en douceur. Varices...Fini la course à pied. On m'a sagement conseillé de me mettre au vélo. Alors qui sait, une ballade un jour, ensemble, quand tu auras retrouvé tous tes moyens....
    Et sinon, oui, je pense que cet auteur te plairait. Si jamais si, n'hésite pas à me confier tes impressions. Je sais le lecteur exigeant et attentif que tu es. Amitiés bien vives.

    ps: Me suis recouché hier au bout de vingt minutes. Pathétique ce match comme les autres. Des muscles et pas de cerveau, pourtant le plus nécessaire quand on pratique ce noble jeu. Je partage tes avis lus sur le blog de Richard. Du très mauvais treize que tout ceci...

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