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Dubrovnik


Lumière un peu rase. Autour du square, il y a ce gamin qui tâtonne, un ballon de rugby sous le bras. En vidant le lave-vaisselle je ramasse le souvenir de ta main. Me cogne le front sur le plan de travail- une planche de bois brut poncée à la sauvette et qui repose en équilibre précaire sur deux tréteaux- en croyant l’atteindre. Le choc n’est pas tellement violent, non, mais je ne suis plus si jeune. Je reste plusieurs minutes sur les fesses, sonné. Mon poignet tremble. La tête me tourne un peu. Je desserre lentement ma prise…

Quelques-unes, quelques-uns, encore hier soir, chez Jeff, s'interrogeant à voix haute avec un tas de points d'interrogation perplexes: mais pourquoi écrire des nouvelles, enfin tes trucs-là (on ne sait pas ce que c'est, dans le fond.) sur le thème du rugby? Sans rire? Enfin, pourquoi…

Une petite cuillère. Ce matin, voilà tout ce que j’aurai réussi à sauver de notre histoire. Demain, promis, je tente à nouveau ma chance. Promis. Oh je sais bien ce que tu as fini par penser de mes promesses. Et c’est vrai qu’elles disent souvent beaucoup d’un être. C’est vrai. Sauf que moi, je peux bien le reconnaître, je ne t’en ai jamais trop faites. Des promesses, vraiment des promesses…

J’ai voulu m’expliquer un peu, leur expliquer dans quelle mesure j’étais, comme la plupart des gens, il me semble, une armée mexicaine à moi tout seul. Un condensé de paradoxes. Un de ces fils naturels de la mélancolie. Certes, certes. Mais aussi leur dire à quel point, justement, le rugby était par essence un sport qui permettait, oui parfois, de lutter contre l’impuissance mélancolique à laquelle nous invite souvent ce monde…

Le canari de la voisine d’en face s’en donne à cœur joie et maintenant j’ai mal au ventre. Le cassoulet d’hier soir- un précis sur la carambouille de viande à lui tout seul. Et gras à ne pas croire. Et…- a bien du mal à passer. J’aurais du vérifier la date, sur la boite. Et puis aussi ces bières de trop, chez Jeff. Encore un samedi qu’on aurait mieux fait de cuisiner autrement. Encore un. Je me relève tant bien que mal. Ça tourne un peu moins. Disons que ça ne tourne plus que dans un seul sens et c’est déjà ça. Oui, me dis-je, alors que je me déplace dans une épaisse odeur de gueule de bois jusqu’au lavabo de la salle de bain, d’ici quelques minutes, ça ira déjà mieux et ce matin pourra reprendre sa place dans le trafic…

C’est un mot et un concept un peu fourre-tout, je sais bien, la mélancolie. Je sais-je sais. Bon, il s’agit en fait d’un mal un peu anglais venu frapper à l’improviste, un soir de novembre, à la porte d’un adolescent qui avait deux grands rêves dans sa vie: être un rugbyman amateur qui saurait voir les derniers espaces libres, et puis travailler pour le cinéma, parce que vous savez, le rugby et le cinéma sont les deux dernières grandes utopies collectives à tenir encore la route. Des utopies à la Gaudi. J’ai voulu leur expliquer…Que j’étais un condensé de tout ça et puis de tout un tas de bonheurs miniatures, aussi, et bien sûr, d’un sacré paquet de désirs inaboutis. Que c’était sans doute pour cela que l’ensemble tenait toujours en l’air. Mais ils n’écoutaient pas…

J’ai faim et j’ai envie d’une cigarette, sans savoir dans quel ordre. Fixée par un magnet coca-cola, bien en évidence sur la porte du frigo, il y a cette ancienne carte postale avec une vue de Dubrovnik. Nous avions pris l’habitude de nous envoyer des cartes postales de ce genre, dès qu’on visitait une ville pour la première fois. Des cartes postales vides. Muettes. Lisbonne. Istanbul. Genève. Vienne…Dubrovnik. Pourquoi est-ce la seule que j’ai conservée? Pourquoi trône-t-elle comme ça sur le frigo? Avons-nous été vraiment heureux dans cette ville? Lisbonne. Istanbul. Genève...Nous avions parfois l’air de bien nous entendre…Dubrovnik. Il me semble pourtant que c’est là-bas, oui, que j’ai senti que quelque chose était sur le point de vaciller. A des riens. Ton regard qui s’altère. Il ressemble à ces parenthèses comme il y en a dans les conversations un peu ennuyeuses et qu'on ferme avec douceur, sans qu'elles aient pu servir à quoi que ce soit. Mes mains maladroites, déjà, qui ne te touchent plus…

Quand je suis sorti de chez Jeff, on aurait dit que le ciel cherchait quelque chose. C'était tout brouillé. Vagues de vieux rose et gros nuages de cendre qui s'abouchaient. Tu me parlais souvent des larmes du diable. Souvent.

J’ai voulu relire quelques notes et d’un seul coup je me suis senti très triste. Aussi triste qu'une nouvelle dont la trame s'effiloche et finit par se perdre dans les méandres de la ville, comme au moment de se remettre au travail, on assiste, impuissant, à la chute de son imagination…

Pendant que mon estomac oscille d’un spasme à l’autre- pas grand-chose dans le frigo. Quelques carottes à gueules cassées et un pot de fromage blanc «date courte», périmé depuis plus d’une semaine- j’ai envie de voir si le gamin est toujours en bas. Près du square. Tout seul avec son ballon de rugby sous le bras. Pour quelle raison une angoisse m’envahit-elle lorsque je réalise soudain qu’il a disparu?

 

(Photo Frédérick Jeantet)

 

 

Commentaires

  • Me demande si quelqu’un va aller jusqu’à imaginer que peut-être, le gamin n’a même pas un plan de travail pour espérer se commotionner comme les grands & visionner « les étoiles restantes », heu « the outstanding stars », pardon . Si cela se trouve, il se prénomme Simon, & réfléchit déjà sur la matrice ou l’idée d’un syndicat inspiré d’FO, ou va savoir, il demeure ainsi interdit du culot d’un Charentais qui lui aurait de la sorte payé d’une vesse le cirage de ses pompes ou j’ignore quelqu’autre monstruosité Thaï sortie de l’imagination « féconde » à sec d’un guide pour touriste . Plus improbable, son arrière grand-père s’appelait le bien nommé & aimé Gustav Matos, mais le bougre, au lieu de ramener un bout de Moulin rouge ou de tour Eiffel ... Ou encore, comme éventuellement ce cher Benoît, il préfère tout simplement la séduction originale impromptue de Nadar dans » la plasticité des vocalises » à tous les soucis d’image qui exposent des nanards toujours soucieux uniquement du paraître sans cesse à ajuster pour « valider » la pose.
    https://youtu.be/XXujEHIght4

  • Me demande si quelqu’un va aller jusqu’à imaginer que peut-être, le gamin n’a même pas un plan de travail pour espérer se commotionner comme les grands & visionner « les étoiles restantes », heu « the outstanding stars », pardon . Si cela se trouve, il se prénomme Simon, & réfléchit déjà sur la matrice ou l’idée d’un syndicat inspiré d’FO, ou va savoir, il demeure ainsi interdit du culot d’un Charentais qui lui aurait de la sorte payé d’une vesse le cirage de ses pompes ou j’ignore quelqu’autre monstruosité Thaï sortie de l’imagination « féconde » à sec d’un guide pour touriste . Plus improbable, son arrière grand-père s’appelait le bien nommé & aimé Gustav Matos, mais le bougre, au lieu de ramener un bout de Moulin rouge ou de tour Eiffel ... Ou encore, comme éventuellement ce cher Benoît, il préfère tout simplement la séduction originale impromptue de Nadar dans » la plasticité des vocalises » à tous les soucis d’image qui exposent des nanards toujours soucieux uniquement du paraître sans cesse à ajuster pour « valider » la pose.
    https://youtu.be/XXujEHIght4

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