Mais nous sommes des fantômes...
D'abord, me dit-il,
il y a eu ce sourire.
Un sourire et je me répétais:
surtout ne te retourne pas...
Et il n'avait pas peur
de se réinventer sous la pluie,
ce sourire flagrant comme un amour
de jeunesse,
malgré les désirs transhumants
de la ville....
A tâtons mes lèvres avançaient
vers une chope coiffée
d'écume.
Une de plus. Une de trop.
Je crois que la nuit,
déjà,
était en train de plaindre
le vide.
La pluie battait la bâche.
Des gouttes d'une eau tiède.
Aussi lourdes
que les larmes du diable...
Quelques amis levaient
encore leurs verres
en haut style,
jusqu'à la bouche de métro
la plus proche.
Ils brandissaient des souvenirs.
Des souvenirs qui grinçaient
sur le pavé luisant de solitude.
On aurait dit de vieux héros
sous cloche...
Il y a dans cette idée
un peu sotte
de continuer la fête
et même bien après l'extinction
des derniers feux de la jeunesse,
la croyance naïve
qu'au moins pour quelques heures,
enfin
la sueur respire.
Mais nous sommes des fantômes.
Qu'on naisse avec des ailes
ou pas,
nous volons désormais à contre-sens...
D'abord, me dit-il,
il y a eu ce sourire.
Ça s'est fait comme ça.
Et soudain j'ai eu envie de boire
ma bière au goulot.
Et je me répétais:
surtout ne te retourne pas...