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Nous sommes Mardi et je vais bien. Je regarde le soir descendre sur la plage avec des pudeurs de moine tibétain. Le spectacle est assez décevant. Des hommes à chiens, partout. Peut mieux faire mais on s'en contentera. Nous sommes mardi et, ici, dans la cuisine, mes spaghetti changent tout le temps. D'une minute à l'autre, ils changent de place. De texture. De goût. Vont et viennent. Plongent, comme on croquerait l'existence de belle humeur, dans une casserole d'eau soigneusement portée à ébullition. S'égouttent avec la nonchalance des starlettes de festival. Tout ça pour vous dire qu'ici, dans la cuisine, je ne me lasse pas des splendeurs minuscules que la vie me permet d'entrevoir. Un peu plus tôt, j'aurais pu avoir envie de me promener sur la plage. C'est vrai. Oui mais non. D'une: je n'ai jamais eu le pied marin. De deux: je déteste le sable qui ne fait à la longue qu'abîmer le cuir de vos chaussures et puisque j'ai une tendresse particulière pour mes chaussures, alors non. Un peu plus tôt, au lieu d'une promenade, j'ai accepté l'invitation de la personne qui me loue cette chambre, parce que nous sommes à Deauville, que c'est mardi et que je vais bien, donc. La personne qui me loue cette chambre n'est autre qu'une dame à chats. Elle a soixante-huit ans et vingt chats. Elle tient à m'offrir une tasse de thé. Pourquoi du thé? Pourquoi moi? J'accepte. Du thé rouge. Tellement dégueulasse que je finis par l'avaler d'une traite. La dame de soixante-huit ans et vingt chats me regarde. Elle se doute de quelque chose. Alors je la regarde. Avec bienveillance. Du moins, j'essaye d'écouler dans mon regard tout mon stock de bienveillance disponible. Ensuite, parce que je la sens rassurée, j'ose cette question: "pourquoi autant de chats?" C'est brutal, je sais. Mais nous sommes Mardi, un peu plus tôt, et sur le moment je ne vais pas aussi bien que beaucoup plus tard, je veux dire, quand le soir finira par descendre sur la plage de Deauville en ouverture de mon petit spectacle de spaghetti caméléons. Pour me punir, la dame et ses vingt chats me proposent une nouvelle tasse de thé. Toujours aussi rouge. Toujours aussi dégueulasse. "Le thé, me dit-elle, aide à rétablir l'harmonie dans nos existences. Buvez et vous verrez." Pour me punir d'avantage, elle répond à ma question de tantôt, puisque tantôt j'étais encore laconique et quelque peu brutal, j'en conviens."Parce qu'un jour viendra où les chats domineront le monde." Nous sommes mardi. Je vais de mieux en mieux mais je ne suis pas d'accord." Impossible. Jusqu'à présent, que je sache, les chats n'ont jamais été capables de jouer au rugby. Oui ou non? Jamais fichus de monter des groupes de rock. Oui ou non?" Nous sommes mardi, maintenant je vais bien et la dame et ses vingt chats sont en train de pleurer. Tout ce joli monde pleure même à chaudes larmes. Je m'en veux d'aller aussi bien maintenant alors que, partout autour de moi, ça pleure. Le mal est fait. Je me lève. En silence je regagne ma chambre. Nous sommes mardi et je ne suis pas venu, ici, à Deauville, pour faire pleurer une vieille dame à chats. Non. Si je suis venu, ici, à Deauville, c'est avec une autre idée derrière la tête. Une toute autre intention. A l'origine, je voulais écrire un texte sur mon père. Voilà, vous savez tout. Mon père qui vit dans ses montagnes. Élève des bovins. Travaille la terre. N'a pas non plus, comme on se doute, le pied marin. Se fout, par contre, surtout de là où il regarde le monde, de savoir que le sable, à la longue, peut nuire gravement à la santé de vos chaussures. Et pour faire en sorte que cette intention trouve à se formuler plus clairement, finisse par devenir un geste, j'avais même emporté avec moi une photo-cette photo, convaincu en mon fors intérieur que des mots "sortiraient" de cette image. Nous sommes Mardi, je vais bien et je suis au moins sur d'une chose: j'aime beaucoup cette photo mais mon père n'a jamais demandé à se retrouver dans une phrase, ni dans un poème à la noix, encore moins dans un mauvais roman de plus...
Photo Frédérick Jeantet
Commentaires
On dirait la montagne toujours blanche et dont j'ai oublié le nom que l'on voit de Quirbajou.
Mais , mon cher André...On dirait bien que tu as raison...comme souvent. Il s'agit du massif des Madre(s.) (depuis plus de trente ans, j'ignore encore si...un s ou pas...Est-ce de cette montagne dont tu voulais parler? Bien à toi
Mais la montagne reste belle André et Benoît...
Le jour se lève, mais le monde entier ne fait plus l'amour. Et personne n'en faisait une montagne...
Les gens n'avaient plus cette élan physique, préférant celui proposé dans ces salles de sports tombant comme des champignons dans leur assiette au milieu de leurs salades de tous les jours.
Faut dire que cette proposition contre subsides n'était pas de s'aimer les uns les autres, mais de le cultiver voire de le "cultifier", charité bien ordonnée commençant par soi-même. Mais toujours pas ma tasse de thé.
Il était 5 heures, mais pas à Paris. J'étais en éveil, l'éclat n'étant même plus dans le rêve. Et je n'avait bien évidemment ni Aphrodite, ni Vénus, ni Eve à côté de moi, bref pas de trace féminine.
Il faut dire qu'en ces temps de disette, il y avait beaucoup plus d'hommes que de femmes. Ce monde n'aimait plus les femmes qui avait lentement mais sûrement disparu en grand nombre, les regards ne se portant plus sur elles. La ferveur était à l'hormone mâle que l'homme s'employait à développer dans ces centres de culturisme. Voilà ce qu'il restait de culture...
Plus de genèse sexuelle puisque maintenant l'avenir s'élaborait uniquement dans ces éprouvettes, les cerveaux étant délavés depuis bien longtemps de cette perspective féminine...
Qu'allais je faire de cette journée vague sans âme ? Restait encore un peu d'appétence libidinale. Aller chercher mon casse croûte de frivolités dans ces restaurants du coeur ?
Puis soudain, cette sonnerie bien connue raviva mon bon sens. J'encensais finalement ce réveil toujours existant, qui me reconduisait par la main comme un enfant ayant perdu sa crèche, dans ce monde encore empreint d'humanité
Pour autant, toujours personne dans mon lit...
Sergio, tu devrais lire "Des hommes sans femmes" un des derniers Haruki Murakami.
Et puis, ton texte, excellent, lui aussi...
Et encore, Benoit, je pense que, oui, c'est le sommet du Madrès...
Merci. Je vais m'y pencher de près...
Et puis il y a 1 chat en couverture... Et le titre soutiré à Hemingway.
Ah mais André, c'est bien cette montagne. C'est chez moi, donc...Sergio, comme d'habitude, tes textes me ravissent. Vraiment...Bien à vous deux...
Dommage que tu ne sois pas à Treignac. J''aurai bien pris plus de temps à discuter avec toi... André tu y va ?
Dommage que tu ne sois pas à Treignac. J''aurai bien pris plus de temps à discuter avec toi... André tu y va ?
Non, je ne pense pas...Il faudrait un petit miracle!