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« Mardi. Le froid est âpre et je suis transie. Mon cœur déborde pourtant d’une joie toute neuve. Envie de célébrer cette journée qui s’avance comme s’il s’agissait déjà d’un événement  important dans ma vie. »

Il suffit de peu de choses.  Toi, ma fille, il t’aura suffit d’une pièce de théâtre. Un truc simple, au fond, le théâtre.  Un truc simple qui s’adresse à des cœurs simples. Tu parles. Je te réponds. Il suffit de peu de chose. La rumeur de la pluie sur un trottoir où vous n’aviez jamais marché comme ça, auparavant. Le cri d’une femme ou celui d’un enfant. Le cri des faibles, peu importe qui, de quelqu’un qui sait, avant même de naître,  ce que souffrir en silence signifie. Un cri à peine audible. Tellement que les autres ne l’entendent jamais ou presque.  Prêter tant soit peu  l’oreille à des cris semblables, de toute manière, vous n’y pensez pas.  Il  n’en est pas question. Ne soyez pas sotte, voyons, mademoiselle. Et puisque vous ne semblez plus pouvoir tenir en place, alors partez ! De grâce, maintenant, partez ! Et cessez donc de fixer ce hangar !  Tout ce que ça vous rappelle, ce sont vos jeux d’enfants, vos cachettes de jeunes gens avides mais encore timides rien qu’à l’idée de s’étendre sur l’herbe des nuits en charmant l’ombre et les fleurs de ruines.  Partez !  Ici, nous haïssons votre satanée jeunesse. Bonne qu’à ça : jouer aux petites mortes en secret en fermant les yeux au vent de la nostalgie. Propre à rien d’autre à part trôner au royaume des affects. Partez ! Ici, on vous maudit. Comme on maudit ce hangar-votre cher hangar, qui, de toute façon, est promis à une démolition prochaine. Pas trop tôt. Il était temps. Ici, mademoiselle, nous voulons oublier. Tout oublier.  Oublier qu’il n’y a pas si longtemps, peut-être l’ignorez-vous, oui vous l’ignorez sans doute, trop occupée à entretenir le feu de votre belle et si importante jeunesse,  oui, oublier que ce maudit hangar a été le théâtre, oui le théâtre, justement, des pires horreurs, des pires tortures, des pires trafics et des pires exactions. Oh mais allez-y ! Fixez-le bien, mademoiselle. Bientôt il ne se dressera plus entre nous et notre culpabilité. Oui. Bientôt…

(Photo Frédérick Jeantet)

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