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Lubies - Page 26

  • Photo ratée

    La mélancolie est un tourbillon 

    dans le fleuve des souvenirs 

    Elle remue dans les zones 

    grises fait remonter 

    à la surface un tas d'images 

    aux contours flous 

    et le rythme même de l'eau 

    peine à faire concorder 

    leurs intérêts paradoxaux 

     

    Il ne faudrait pas accorder

    autant d'importance 

    à tous ces témoignages 

    peu scrupuleux

    Ça reviendrait à racheter 

    des pans entiers de 

    notre mémoire 

    à coups de fish and chips 

     

    Hier une fin d'après midi

    comme il y en a

    sur les plages aux courbes

    douces de Charente Maritime 

    La chaleur agraffait nos peaux 

    au sable près du bord

    où l'océan s'épuisait

    à se frayer un chemin 

    renonçant bientôt 

    à nous lécher les pieds

     

    Le drame s'est joué 

    en à peine trois minutes 

    J'ai tout vu

    depuis ma serviette 

    L'arrivée du marchand de glaces

     pédalant sur son triporteur 

    assez vite débordé 

    par la cohue des gamins

    agitant leurs billets 

    froissés de sueur 

    et de gourmandise

    La course en sens inverse

     tout aussi nerveuse 

    de chacune et chacun

    jusqu'à ce que le plus petit 

    d'entre elles et eux

    chute contre les ruines 

    d'un château de sable 

    pour réapparaître aussitôt 

    la larme à l'oeil 

    et dans sa main incrédule 

    plus que le souvenir 

    d'un cornet deux boules 

     

    Comme il regagnait tête basse

    le parasol familial 

     j'ai songé à une de ces photos 

    ratées quand on

    appuie 

    sur le déclencheur 

    un peu par inadvertance 

     

     

     

     

  • Conserverie

    J'ai suivi le mouvement 

    Cet après-midi une chaleur 

    plutôt inhabituelle 

    en Bretagne 

    a poussé le vice

    jusqu'aux portes méticuleuses 

    de l'ancienne conserverie 

    que les lounge bar 

    de la côte tiennent 

    soigneusement à l'écart 

    de leur happy hour

    En avançant au milieu 

    de la foule 

    vers le bâtiment 

    dont la façade striée d'angoisse 

    patientait comme une chose 

    qui ne sert plus 

    j'ai moi aussi entendu 

    ce grand bruit métallique 

    Comme si toutes les sardines 

    s'étaient mises à danser

    hors de leurs boîtes 

    J'ai suivi le mouvement 

    J'ai fait comme les derniers 

    vacanciers du mois d'août 

    J'ai dansé sur le sable 

    l'air d'une glace 

    en train de fondre 

    Tu m'as dit mais un peu 

    après 

    " Quand j'étais vraiment petite 

    on a eu un chat 

    Un chat blanc 

    Je n'en ai gardé 

    aucun souvenir précis 

    Un jour il n'y a plus

    eu de chat

    Et puis j'ai grandi 

     

     

     

  • Pornstar Martini

    Il y a eu cette fille
    Blonde la petite trentaine
    Et sa voix de crécelle
    bourrée de tics
    Tout ça d'un peu
    trop haut perché
    pour que les tenants
    versaillais
    et les aboutissants
    parisiens
    de la French Pop

    envisagent de sortir

    de leur retraite précoce
    pour lui faire
    chanter un de ces refrains
    étonnants et dansables
    un collier de fleurs
    autour du cou

    Quand nous avons
    posé nos serviettes
    en cette période de
    grandes marées
    dans le match opposant
    l'océan au sable
    le premier menait déjà
    largement au tableau
    d'affichage
    Vingt minutes de sieste
    et trois pages
    de Pétrarque plus tard
    une foule insensée
    se pressait de part et d'autres
    de notre parasol
    La chaleur de retour sur
    le Morbihan avait dû
    les convaincre en même temps
    de l'urgence de la baignade
    Tous ces baigneurs
    encore mouillés et toujours
    grelottant sur leurs serviettes
    tu m'as dit :
    On dirait les rescapés
    d'un naufrage
    Un paquebot de croisière
    s'est peut-être échoué
    au large de Quiberon ...

    Très tôt ce matin-là
    à l'heure où les mouettes
    apprennent encore
    aux bateaux de pêche
    à lire l'eau
    sur la terrasse
    j'attendais mon premier
    promeneur de chien
    avant de boire mon
    premier café
    quand les mots
    de cet antiquaire
    croisé avant-hier
    sur le seuil de son
    dépot immense
    sont remontés au bord
    de mes lèvres
    Une brise remuait
    à l'intention des touristes
    ses cheveux poivre et sel
    peignés en arrière
    Chemise et short colonial
    complétaient l'uniforme
    d'une folie astucieusement
    orchestrée
    L'homme s'aidait
    d'un vieux plot de signalisation
    pour interpeller les passants
    récitant d'une voix
    d'automate
    une formule d'Ovide
    " Vouloir est peu de choses
    Il faut désirer pour
    atteindre son but "
    À l'intérieur un bric à brac
    où rien n'allait ensemble
    et où tout finissait

    peu à peu 
    par s'agencer avec goût
    Pour l'essentiel du mobilier
    nordique et du design italien
    Impression d'un exil
    au beau milieu de l'été
    De pénétrer dans des pièces
    qui vous offraient soudain
    la possibilité de vivre
      tout à la fois
    la peur l'amour le chagrin
    Des enclaves de paix
    où l'âme humaine
    aurait tout à inventer
    En ressortant du dépôt
    j'ai imaginé l'homme 
    après le départ des vacanciers
    Seul à la même place
    Confident des maisons
    aux fenêtres closes

    Plus tard
    dans un passé
    si peu passé
    mais qui ne collait
    plus tellement à nos peaux
    maintenant que tous
    ces naufragés
    avait eu tôt fait
    de transformer
    cette vaste étendue de sable
    en maison d'hôtes
    à ciel ouvert
    la rumeur enrouée
    d'un des jeunes animateurs
    du club Mickey
    " Bravo Bertille
    Oui ! Vas-y Bertille ! "
    Je me souviens de ton sourire
    après que j'ai râlé
    au ras de ma barbe :
    Putain le mec est en boucle !
    J'avais un peu bu
    Mon envie de découvrir
    ce cocktail au nom
    idiot et surréaliste
    Pornstar Martini
    ne tenait plus en place
    Alors une sieste s'imposait
    Une sieste comme le ciel
    et l'océan semblaient assez
    bien partis pour s'unir
    dans l'odeur douce
    du silence
    Comme un jeune couple
    refait le trajet du bonheur
    Deux enfants sur la route
    de la maison

    Ensuite il y a eu cette fille
    Ensuite la plage pourtant bondée
    pire qu'un soir de concert
    des Daft Punk
    est devenue cette fille
    Cette fille qui s'est mise
    à saouler sa voisine de serviette
    enceinte jusqu'aux yeux
    avec une histoire de belle-mère
    et de vinaigrette
    Qui insistait de toute sa voix

    insupportable et maniérée

    malgré les bâillements
    et l'air d'extrême lassitude
    de l'autre
    pour inscrire cet épisode
    à la carte des clichés domestiques
    à déguster en long drink