La littérature, ils disaient...
La littérature, ils disaient...et pour la plupart d'entre eux, il s'agissait de jeter ce gros mot à la figure des mal dégrossis, des imbéciles qui n'y comprendraient jamais rien...La littérature se piquait alors d'avoir tous les droits de cuissage pourvu qu'elle sache épater le bourgeois. Le temps de quelques litres de bonne sueur interdite, le temps de se vautrer quelques heures dans la fange et puis, son petit quart d'heure de boue consommé sans modération, et puis après un dernier tango à Paris, le temps de sadiser une jeune actrice en passant, mais oui pourquoi pas, puisque c'était de l'art et que l'art n'avait jamais compté pour du beurre ou alors... le temps, enfin, de prendre une douche bien froide avant de s'engoncer dans son petit complet-veston d'homme remarquable bien sous tout rapport. La littérature, ils disaient, n'avait que faire de la morale...Les mots, pour peu qu'on sache les choisir, les peser avec soin, les mots se suffisaient à eux-mêmes et le monde n'avait plus qu'à se laisser mourir ou tenter de survivre après eux. Après ces mots-là...La littérature n'avait pas à s’embarrasser avec si peu...
La littérature, ils disaient, les vieux barbons des lettres bourgeoises françaises, de la censure au succès, il n'y avait qu'un pas. Et comme le bourgeois, dans le fond pas plus éclairé qu'un autre, mais mieux chauffé, mieux nourri, mieux blanchi, ne prenant pas un grand risque à se commettre avec l'immonde, ici, un reliquat de facho invité au vin d'honneur histoire de choquer les braves cousins de province, là, un écrivain touche pipi afin de mettre tant soit peu de piquant et de rose aux joues d'une dame patronnesse et il serait toujours temps de l'escamoter par la porte de service et puis...Place au pisse-mémé et puis...rien...Le reste, tant que ça demeurait strictement hors de portée du chant littéraire, artistique, était, entendons-nous bien, hautement condamnable. Le reste, ça concernait les autres, les beaufs, les vulgaires pollueurs de la Vologne avec leurs sales petits secrets de famille et leurs déchets en plastique...
De l'eau croupie a coulé sous les ponts. Les uns sont morts ou sur le point de l'être sous peu. Les faits-diversiers ont fait depuis longtemps leur mea-culpa. Les pauvres surnagent dans une autre sorte de pauvreté, plus pernicieuse encore. Le capitalisme n'a plus à faire bonne figure puisque le mur est tombé. Ce soir-là, et je m'en souviens comme si c'était hier, j'expliquais à une femme qui avait été jeune en mai 68, à quel point je l'aimais. Ce soir-là, et je m'en souviens comme si c'était hier, cette femme-là, m'expliquait en retour, bienveillante jusqu'au bout de ses jolis ongles rongés, pourquoi-comment, et justement parce qu'elle avait été jeune vers mai 68, l'amour, libre ou pas, ça ne pourrait jamais plus exister. La morale? La liberté? "Une fable racontée par tout un tas d'hommes tellement libres, tellement savants" Et sinon? Elle lisait Cioran...Et puis...rien...
De la censure au succès, ils disent, les vieux barbons des lettres bourgeoises françaises, qu'il fut un temps "où la littérature passait avant la morale ". En clair et pour dire rapidement les choses: qu'un gros producteur et nabab hollywoodien se conduise comme le pire des porcs avec des actrices, on peut s'en émouvoir après coup. Ce n'est qu'un homme d'argent, après tout. L'argent c'est sale, hein. Mais dans la même situation, les doigts chopés dans la même sale confiture, un artiste trouvera toujours quelqu'une-quelqu'un pour le dédouaner. En clair, les contre-casting "cambre ton corps ma jolie c'est de l'art tu comprends " ont encore de beaux jours devant eux. En clair, les chanteurs starshootés pourront continuer, encore longtemps, à beugler à qui mieux mieux leurs hymnes pop à l'amour pur, avant de rentrer tutu-nunu tabasser leurs compagnes. Ce sont de pauvres petits écorchés vifs, mais voui, voyons. En clair, si on te reconnait un tout petit peu de style, tu peux sodomiser toutes les gamines et tous les mômes de la terre...
Faut-il, pour autant, scruter une oeuvre avec l’œil du purgatoire? Doit-on oublier par quel biais cyniques certains animateurs télé d'aujourd'hui, culturels ou moins, ont réussi à ramener sur le devant de la scène des Zemmour, des Nabe, des Soral ? Bien sur que non...Mais qu'on me permette de vomir quand même...
La littérature, voyez-vous, messieurs les bourgeois qui êtes toujours prompts à sous-louer votre âme au diable, le temps de savourer un horreur en passant comme une rupture de ton, une gourmandise, une pâte de fruit, oui, la littérature, ça devrait en première main regarder la bonté. La bonté au sens où Tchekhov l'entendait et tant d'autres après lui...Voilà, c'est tout...