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La couleur exacte de l'été...

Cette histoire est arrivée à une jeune adolescente alors qu'elle se promenait dans les environs de Belcaire. Elle s'appelait Mathilde et à chaque fois qu'elle vous souriait, vous auriez dit qu'elle tentait de redéfinir la couleur exacte de l'été. C'était un mois d'août accablé de canicule, de sorte qu'il était parfaitement inutile de vous amuser à donner une forme aux nuages. De la pluie, c'est simple, nous n'avions aucune nouvelle. Et depuis fort fort longtemps. Par moment, j'avais de la peine pour toutes celles et tous ceux qui s'échinaient sous ce soleil d'enclume, leurs gestes lourds comme des oiseaux soudain trahis par la poussière. Mais parce que l'été, à cette époque, promettait de durer quatre mois tout rond et puisque j'étais encore étudiant, je vous avoue que le sort de mon prochain m'importait assez peu. Oui, j'avais bien d'autres préoccupations en tête. La jeunesse. Les filles. Les plages mais un peu plus tard. Et déjà mes complices que j'allais rejoindre afin de mettre au point nos futures équipées nocturnes. Et donc ce soleil, à l'ombre duquel j'avais fait la promesse solennelle de me tenir à l'écart des journées salissantes...

Le hasard voulut que je rencontre Mathilde alors que je me dirigeais, l'espadrille collée au goudron de la route, vers le stade municipal. Vêtue comme une bohème des années vingt, sa silhouette de liane flottait dans une chemise d'homme un peu trop ample et puis je ne sais pas...déjà ce port de tête, cette façon de marcher presque sans effort, oui c'est ça, presque sans effort...enfin je ne sais pas...Le hasard voulut qu'à un moment je me retourne vers le sentier qui jouxtait la départementale et elle était là, telle que je la revois dans mon souvenir, affublée de son chapeau de paille pour aventurier des mers du Sud venant à peine de prononcer ses vœux, un gros bâton épineux à la main qu'elle avait du se dégoter au milieu d'un tas de branches mortes. Oui, probablement...

Dans mon souvenir, comme elle s'approche en sifflotant un air pop, il y a aussi ce vélo de gamin échoué en contrebas de la route, les pédales tournent dans le vide mais nulle trace de son petit propriétaire. Et pas un souffle d'air à l'horizon. Une odeur de grillade montait derrière un massif de cyprès et j'en étais à me dire que, bon peut-être...et déjà elle me parlait aussi spontanément que si nous nous étions rencontrés la veille. «Tu fais du stop ou bien?» Une voix douce mais légèrement voilée. Sans doute à cause du tabac blond de Virginie dont elle devait, un peu en cachette dès que le jour baissait, se moquetter les poumons pour se donner ce genre féminin très singulier qu'ont toujours eu les filles à cet âge où une certaine idée du romantisme achève de mûrir entre leurs lèvres. Sans doute. «Ah ,non» j'ai bredouillé «j'ai rendez-vous avec des amis, là-bas, au terrain.» Et je dois dire qu'à l'idée de les voir courir, j'étais déjà épuisé. J'avais toujours envisagé la pratique sportive comme une perte de temps, un truc fade et rien d'autre. «Alors comme ça, tu joues au rugby?»

On s'approchait d'un verger et j'ai eu l'impression d'entendre comme un bruit d'eau, une rumeur fraîche qui sourdait quelque part. «Oh c'est ton imagination qui te joue de vilains tours. Tous les ruisseaux sont à sec. Alors tu joues ou pas?» Ca m'aurait plu de me promener avec elle à travers ce verger et de découvrir, je ne sais pas, une fontaine surgie au beau milieu, une fontaine qui ferait bientôt reverdir les lieux alentour. Ca m'aurait assez plu, je l'avoue, mais il aurait fallu pour ça un peu d'audace, du tact, ou sûrement un peu des deux à la fois. Et puis n'avais-je pas rendez-vous «là-bas, au terrain» avec ces complices que je me surprenais maintenant à appeler «les autres...»

Je m'étais toujours figuré que la passion devait s'agencer à la suite d'une ou deux coincidences. Ensuite, il revenait aux êtres d'agiter leur libre arbitre sous le faux nez du destin et hop, adieu Berthe, le tour était joué, l'amour vous destinait aussitôt à des hauteurs incroyables. Le hasard avait bien voulu que Mathilde croise ma route ou plutôt que je croise la sienne et voici qu'elle se rendait, elle-aussi, «là-bas, au terrain»

Son père entraînait l'équipe «des juniors», oui « tu sais, le rugby et lui, ils sont dans une relation parfois un peu étouffante et même morbide, oui mais je préfère penser que sans ça, sa vie serait terne...» D'après elle, il devait déjà pointer du doigt les kilos en trop de quelques uns, alors qu'il menait le premier footing de pré saison sur un train d'enfer. «Les fêtes de village sont passées par là» avait-elle ajouté avec cette petite moue espiègle. Pour sur, j'en savais quelque chose et mes complices n'avaient plus dès lors qu'à éliminer toute cette mauvaise sueur. J'imaginais d'ici la scène. J'adorais ça, à l'époque, imaginer les choses. «Tu sais, je ne joue pas au rugby.» j'ai fini par avouer. «J'en ai même jamais fait. Là d'où je viens, on est pas tellement rugby...»

Cette histoire est arrivée à une jeune adolescente alors qu'elle se promenait dans les environs de Belcaire. Elle s'appelait Mathilde et à chaque fois que je repense à elle, à sa façon de sourire lorsqu'elle a fini par me demander ce qui, bon sang, me retenait d'essayer, « moi, j'y joue bien. Mon père dit toujours que si tu sais regarder, alors tu peux jouer», trente ans et une kyrielle de vilains matchs plus tard, je ne cesse de me dire que la jeunesse aurait eu un tout autre goût sans elle. Oui. Un goût fade et rien d'autre...

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